Friday, 4 April 2014

Montpellier, rue vieille


Chez les rues aussi, il y a des jeunes et des anciennes. Rue du Temple et rue Vieille du Temple, rue de l'Aiguillerie et rue de la Vieille Aiguillerie à Montpellier... Mais toutes les rues de l'Ecusson mériteraient davantage de regards et d'égards. Je renonce à critiquer les crottes et les odeurs d’égout en été, voyez-y un cachet d'authenticité, une continuité historique. Il doit aussi y avoir foultitude de rats, sans quoi les chats ne seraient pas aussi en forme. Les containers et sacs poubelles attendant très patiemment la relève, ainsi que les tags laids posés à l'aveugle et à la vandale (les Vandales, tribu germanique, ont forcément fait des petits dans la région avant de partir pour l'Afrique du Nord via l'Espagne) sur de vénérables portes de bois travaillé et des murs qui ont vu tant de choses... c'est la vie, mais une vie peu sympathique. Style: "Ben quoi ton grand-père est mort, il faut que les vieux laissent la place aux jeunes!". Style j'élargis mon espace vital à celui des autres, j'existe et ça me suffit.  


On ne pourrait plus rien imaginer, entre montagnes de détritus et tags.
Qui a emprunté ces ruelles. Comment se présentait la devanture des boutiques. Où travaillaient les drapiers de la rue de la draperie, qui vivaient rue des gagne-petits, comment vivaient les carmes, les multipliants, les sœurs noires dans leurs rues respectives, que faisait-on rue de l'Argenterie ou rue Four des Flammes, rue des Balances et rue de l'Huile, qu'est-ce qu'une corraterie ou une embouque d'or, quelle est l'histoire de la rue du pistolet ou de la rue du Merle blanc? Et lorsqu'on sera à court de noms d'origine (ou plus ou moins), on cherchera les noms d'îlots. Îlot criminel?
Les corratiers étaient des hommes qui se fixaient dans un quartier ou une rue, sans bénéficier de tous les droits des citadins. Des étrangers, ou des serfs que l'air de la ville n'avait pas encore rendus libres, peut-être.
Embouquer, c'est s'engager dans une bouque: un canal, chenal, goulet - et je n'ai pas idée de ce qu'est une embouque d'or.


La bonne vieille ville n'est pas si vieille. Voyez dans la région les antiques ou plus qu'antiques Lattes, Nîmes ou Arles. Maguelonne et Mauguio même ont préexisté à Montpellier. C'est Bernard II, comte de Melgueil (l'ancien Mauguio) qui céda le 26 novembre 985 à un nommé Guilhem le manse de Montpellier - une terre agricole tenue par un homme libre, le terme de mans a donné mas... Guilhem et ses 7 successeurs en ont fait une seigneurie et un bourg - que cette dynastie de Guilhems, et ultérieurement les rois d'Aragon puis de Majorque (à vérifier) tenaient du comte de Melgueil, puis de la maison de Toulouse lorsque les comtes se trouvèrent ruinés, et du pape qui inféoda Melgueil aux évêques de Maguelonne. De cette inféodation on peut déduire une certaine mauvaise foi du pape Innocent III lorsqu'il se déclara incompétent pour légitimer les enfants nés du second mariage de Guilhem VIII... La décrétale Per Venerabilem (1202) est au menu des étudiants de première année de Droit. Les pobrets n'en savourent pas tous les goûts et n'en tirent pas tout ce qu'ils devraient.

Guilhem VIII, ses épouses, le troubadour Foulques, Innocent III et Marie, qui hérita de la seigneurie en dépit d'une renonciation sur les bons conseils de la belle Agnès, sa "marâtre", étaient de beaux personnages. On n'a pas assez écrit sur eux, en dépit de tous les documents disponibles. L'historien(ne) devrait aussi être juriste, psychologue et politologue - pensez aux relations des héros avec les empereurs de Byzance (l'oncle de la première femme de Guilhem VIII), le roi de France Philippe-Auguste (qui donna le mauvais exemple en répudiant son Ingeburge sœur de roi danois...), les rois d'Espagne qui voulaient financer leurs guerres contre les Almohades - Pierre, le second mari de Marie, qui dans la tradition de l'époque voulait répudier son épouse ("faire annuler son mariage"), Jaume/Jacques son fils, etc. et avec les bourgeois demandeurs de libertés, tiens, qui en obtinrent et se vengèrent (château seigneurial rasé...).
Le saint Guilhem qui a donné son nom à une rue serait-il Guilhem IX, frère de Marie qui abdiqua peut-être le jour de sa majorité féodale, à 14 ans? Raté, c'était un Guilhem de Gellonne canonisé en 1066.

Annie Salager a publié en 1991 un roman sur Marie de Montpellier. Intéressant mais... manque de ramifications, d'excitation, de jubilation.
Bibliographie plus complète, sans être exhaustive, sur l'histoire de Montpellier en fin d'article!



On trouve bien plus si l'on s’intéresse à l'architecture de la ville. Pas de structure en circulade (rues circulaires et en rayons autour d'une cathédrale): il n'y avait pas de cathédrale à l'origine, et les bouleversements du temps de Marie de Montpellier (une Magna carta, signée en 1204, recueillit les droits, coutumes et libertés des habitants de Montpellier. Ils les élargirent en rachetant des droits seigneuriaux à un roi en quête d'espèces. Explosion démographique...), la peste noire, les guerres de religion, la révolution et la mode Hausmanienne ont chamboulé les structures...
La maison-type reste un immeuble de pierre de 3 étages (en comptant le rez-de-chaussée) et toit de tuiles. Les immeubles sont accolés, les ruelles parfois très étroites. Il reste des traces de fenêtres à meneaux et de voûtes sur bien des façades. Les rez de chaussée sont souvent voûtés - comme salle Saint-Ravy et dans nombre de magasins et restaurants... Les fenêtres sont hautes et étroites, pourvues de volets intérieurs ou extérieurs. Les fenêtres racontent l'histoire, nous disent les Avignonais ici. Celles de Montpellier portent souvent une ornementation de bois dans la partie supérieure, qui pouvait cacher l'accroche d'un rideau ou store. Les balcons et garde-corps sont apparus assez tard, comme ces ornements de bois. Mode de la ferronnerie, et talent des ferronniers de Lodève! 
Pour plus d'exemples cliquez sur ce lien, et svp faites-moi bénéficier de toutes informations complémentaires.









Autres particularités, quelques encorbellement et trois arcs voûtés permettant le passage entre deux immeubles bordant une même rue. Ces arcs sont l'arc de "Bonnier", ou de "Joubert", rue du Bras de Fer, l'arc de la rue Voltaire construit par Pierre de Grefeuille et appelé "arc de Coulondres", et l'arc de la rue Jacques Cœur (ci-dessus). Ces constructions furent interdites par Jacques d'Aragon.

Aux intéressés je ne peux que conseiller la visite du site-dictionnaire de M. Kempenar, que voici: ici!

Maintenant, n'auriez-vous pas envie d'entrer? De voir, qui sait, des plafonds peints, des moulures, d'antiques radiateurs de fonte sculptés, etc etc?



A défaut d'entrer, on peut regarder les plaques. Ici ont vécu Nostradamus, André Gide, Paul Valéry, Auguste Comte, Juliette Gréco, Cambacérès, Antoine Cabanel, Francis Ponge, Léo Mallet, Gustave Courbet, Georges Charpak, Rainier de Monaco et nous.
Les félibriges ont les plus jolies plaques!





LU ET APPROUVE:

Sournia Bernard, Vayssettes Jean-Louis, Montpellier - La demeure classique.

Redon, Jeannine, Histoire de Montpellier à travers ses personnages (jusqu'en 1914)

Cholvy Gérard, Histoire de Montpellier

De Bonnet, la Faculté de médecine, huit siècles d'histoire et d'éclat.

Vidal Henri, Montpellier et les Guilhems

Salager Annie, Marie de Montpellier

Nolier, Inès: Le magicien de Montpellier, Raymond Lulle

Iancu Michaël, Les juifs de Montpellier et les Terres d'Oc: figures médiévales, modernes et contemporaines

Chastang, Pierre, La ville, le gouvernement et l'écrit à Montpellier (XIIe-XIVe siècle) : Essai d'histoire sociale

ET un roman historique tout récent, sur une affaire qui a défrayé la chronique durant la Révolution française:
D'un rouge incomparable, par Véronique Chouraqui.
Ex-avocate, historienne du droit et juge, l'auteure a trouvé une mine d'or dans les archives municipales, et elle l'accommode bien. Histoire d'amour et chronique judiciaire... le suspense est intenable à la fin. J'ai aussi apprécié qu'elle ne s'approprie pas des personnages, après tout, historiques. Leur vouvoiement ou leur tutoiement obéissent aux mœurs de l'époque, pas aux nôtres. Ce n'est qu'un petit exemple qui doit bien dire qu'elle a trouvé une distance personnelle, respectueuse et affectueuse; un équilibre aussi loin des romans à prétexte historique que des ouvrages historiques dans lesquels on ne pénètre pas. On apprend beaucoup, et avec grand intérêt.


Encore quelques traces et mélanges...











No comments:

Post a Comment