Dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la Francophonie (15-23 mars), les internautes ont été invités sur Facebook à proposer de "nouveaux mots". 3000 propositions ont été faites, et un jury a récompensé trois néologismes: «escargoter» (prendre son temps), «se mémériser» (se vieillir au moyen d’habits hors d’âge) et «tôtif» (contraire de tardif).
Le choix était visiblement difficile. Je vais quant à moi vous proposer d'escargoter tôtivement, dès ce jeudredi, et à défaut d'esquivarder (bavarder pour esquiver une tâche ennuyeuse) entre nous, d'envisager de nous mémériser avec éclat.
J'ignore dans quelle partie de la quatrième jambe du chromosome X est localisé le gène du goût des bijoux, mais qu'on ne me dise pas qu'il s'agit d'un trait culturel ou social, d'une manifestation de superficialité (je possède donc je suis/je suis ce que je montre) ou d'une stratégie pour attirer l'attention, ou la détourner de rides et défauts, d'un besoin de posséder, ou d'afficher une personnalité minimale (j'aime/j'aime pas), un statut (on m'aime...), un niveau socio-économique, etc.
Non, ce n'est pas si simple.
Le bijou (colliers de coquillages, pierres, dents ou os) date d'au moins 100 000 ans. Belle histoire, vous l'imaginez - Non? Le bijou peut être masculin: couronnes, médailles, boucles d'oreilles de Henri III, montres. Une couronne n'est pas un bijou? Elle fait partie des joyaux de la couronne et les joailliers font des bijoux. Le bijou n'est pas forcément cher ni précieux ni ostentatoire. On peut l'aimer sans le comparer (mon diamant est plus gros, mon diamant est plus pur...), sans y voir un trophée (il m'a donné quelque chose qui durera plus que son amour, et plus que sa vie; il m'a donné ses vrais bijoux de famille: ceux de sa mère). On peut l'apprécier esthétiquement, en ce qu'il réjouit des sens, vue, toucher, plaisir des formes et des couleurs. On peut apprécier le travail qui a présidé à sa création. On peut apprécier ce qu'il représente: un voyage dans le temps et/ou l'espace, un souvenir personnel ou l'évocation de porteurs passés. On peut penser à lui comme un chaînon, en ce qu'il correspond à une époque donnée, à un état d'esprit apparu dans la continuité ou en réaction au précédent, un état d'esprit qui a été suivi d'un autre, puis d'un autre...
Il y a des musées du bijou.
Il y a des livres très sérieux sur le bijou.
J'ai choisi mon thème de recherches: les bijoux "vintage", non précieux, produits de façon artisanale ou industrielle, en y incluant des bijoux de fabrication traditionnelle et non occidentale, mais ayant été prisés en Occident (et ayant donc le cas échéant influencé les créateurs, européens et nord-américains).
Montpellier ne vaut pas Paris pour accéder aux musées et aux livres spécialisés. Une potentielle future métropole n'est pas une capitale. Il faut aller à Paris pour visiter une exposition sur les pierres précieuses au musée national d'histoire naturel ("Diamants" en 2002...), une exposition au musée des arts décoratifs sur le bijou fantaisie-accessoire de mode ("Trop", collections Barbara Berger, 2003), pour voir les collections permanentes du Louvre ou du musée de la Mode. Il faut aller à Paris pour les bibliothèques des musées ou de l'hôtel Forney.
Mais... on peut faire son chemin dans le maquis des connaissances avec un écran et internet. Plus ludique que la recherche d'images sur Google, il y a Pinterest. On commence à faire ses collection, à faire son œil, et la curiosité s'éveille. Pour ne pas rester dans le pur virtuel, et connaître les valeurs et les prix, les vogues et les actualités, on complétera avec E-bay et Etsy. Ajouter de régulières séances de surf sur Wikipédia et les sites qu'on découvrira au fur et à mesure, au bonheur des mots-clés. On aura rapidement effacé les représentations mentales antérieures (bijou de grand-mère, pour main tâchée et ridée, pour gorge plissée, pour lobes d'oreilles tombants, bijou poussiéreux pour salle de vente, bijou de morte).
Quel plaisir que de voyager de façon imaginaire. Inutile de posséder, de porter le bijou, de s'identifier à celles qui l'ont porté. Le bijou a un pouvoir d'évocation, comme un tableau ou un poème. Naturellement l'envie risque de monter, d'autant que certains (hum... pas d'exemples sur cette page) ne coûtent pas plus qu'un CD ou un DVD.
Thème I: Souvenirs et devenirs
Thème I: Souvenirs et devenirs
Première "curiosité": bracelet à chérubins et animaux, en pierre de lave sculptée, vers 1840.
On n'a pas attendu la lithothérapie pour porter sur soi des bijoux de lave! Des archéologues européens ont identifié le site de Pompéi en 1763 (il avait été découvert début XVIIe). Mode néoclassique en Europe. Intérêt pour l'antiquité romaine. Revoyez les tableaux de David et les meubles directoire, consulat, premier empire! En 1822, une nouvelle éruption du Vésuve dépose sur les ruines une nouvelle couche de cendre. En 1840, on ouvre une ligne de chemin de fer entre Naples et la porte Marine pour faciliter l'accès au site. Tourisme enthousiaste - n'est-ce pas le siècle des romantiques? On n'avait jamais cessé de produire des camées, mais les "camées" de lave sont particuliers. Si Le camée est une technique de gravure ou sculpture en bas-relief, en général sur des matériaux présentant des strates de couleurs contrastées (effet de camaïeu), ici on pratique d'autant plus facilement la ronde-bosse que la pierre est de couleur uniforme: il faut un jeu de lumière plus fort pour faire apparaître le sujet.
Pendentif pour bracelet, représentant la baie de Naples, en émail sur argent. "Carte postale" d'un fiancé ou souvenir?
Emaux d'Alexis Falize en Antoine Tard, vers 1870 (crédits: Art Digital studio). Falize a sans doute donné une nouvelle impulsion à la bijouterie, en délaissant les pierres précieuses pour des pierres fines et des émaux. Si certaines de ses créations sont très marquées par la mode néo-gothique, d'autres sont plus japonisantes. Ce virtuose s'est aussi inspiré des bijoux persans ou indiens. Antoine Tard, émailleur, donnait vie aux dessins de Falize.
Falize - Tard crédits: Art Digital studio |
Durant près de 2000 ans, les Chinois ont utilisé les plumes d'un bleu électrique des martin-pécheurs pour créer des bijoux, éventails, écrans... Les plumes sont découpées et collées dans des cases d'argent. L'effet, de loin, est celui du cloisonné - mais les plumes capturent la lumière d'une façon inimitable. Faut-il le préciser, les occidentaux n'ont pas adopté cette technique, contrairement à celles de la porcelaine, des émaux cloisonnés, de la laque ou de la peinture sur soie. Les plus belles pièces étaient destinées à la cour impériale et aux familles des officiers de haut rang. Les martin-pécheurs n'étant pas des oiseaux d'élevage, des milliers ont sans doute été tués pour la confection de ces merveilles. Confection qui a définitivement cessé avec la révolution chinoise.
On a de ces associations d'idées... originaire du sud-est asiatique comme les plumes des pauvres pécheurs, le niello thailandais. La technique était connue en Europe dès l'Antiquité, et y a été pratiquée jusqu'à la Renaissance. Au XXe, les bijoux de niello étaient un cadeau populaire ramené par les soldats américains à leurs épouses ou fiancées, des années 30 à 70. Il s'agit de bijoux d'artisanat, représentant pour la plupart des danseurs/danseuses ou des personnages de la mythologie hindoue.
Le rapport est encore purement visuel, à ma connaissance, entre ce qui précède et ce qui suit. Ce qui suit, c'est un collier d'émail sur argent de Margot de Taxco. Celle-ci était une remarquable créatrice de bijoux, qui fonda son entreprise à Taxco (Mexique) en 1947. Elle s'inspire, pour ses motifs, des arts déco, de l'art maya et de k'art japonais. Des bijoux fantaisie sans matériaux précieux, mais devenus extrêmement précieux!
Les bijoux de micro-mosaïque sont devenus populaires avec le tourisme en Italie et la pratique du "grand tour": les jeunes gens fortunés qui réalisaient leur tour de l'Europe achetaient à Rome des reproductions de monuments antiques ou anciens. Si Rome était le centre de la production des micro-mosaïques, les thèmes se sont diversifiés: fleurs, animaux, sujets religieux... Les collections les plus spectaculaires sont anglaises ou russes.
Bracelet sculpté dans des coquillages, originaire d'Italie (Naples). Néo-rococo sans doute!
Le rococo n'est pas mort, avec cette broche en celluloïd (années 50/60) signée Japan mais certainement destinée à la clientèle américaine. Les grandes entreprises américaines de bijoux "fantaisie" (Coro, Trifari, Lisner...) firent réaliser après la seconde guerre mondiale leurs produits au Japon, qui disposait d'une main d'oeuvre talentueuse et appauvrie.
Les Allemands ont souffert du même problème que les Japonais... et créé dans les années 50 des bijoux en eloxal, aluminium très léger.
So british... quoique certains mettent en doute la légende.
Le prince de Galles qui allait devenir le roi George IV décida un jour de la fin XVIIIe d'offrir à la veuve Maria Fitzherbert un gage de son amour: une miniature représentant son œil uniquement, afin de préserver un certain secret à la Cour... Les Lovers'eyes sont devenus à la mode dans la noblesse et la haute bourgeoisie britanniques, mais aussi russes, françaises...
Les créateurs américains Butler et Wilson (XXe) devaient connaître les Lover's eyes - ou se référaient-ils à Dali?
Bague française du XVIIIe... une figure portant un masque de carnaval, aux yeux de diamants et entourée de rubis, cache un message secret: (mon cœur) pour vous seule...
Pendentifs de collier et breloque pour bracelet français, début XXe:
Bracelet en émail sur argent, souvenir des Bahamas... C'est le précurseur des pins. Les Américains en ont été friands. En Europe, les bracelets souvenirs hollandais représentaient des paysages peints en bleu sur carreaux blancs, de Saint-Marin on ramenait des bracelets de pièces de monnaie, du Portugal des filigranes...
Moins kitsch, plus beaux, plus travaillés, plus chers... les bracelets en émail guilloché norvégiens. Celui-ci est signé Ivar Holt. Parmi ses collègues: David Andersen, Finn Jensen, Lars Harsheim, Aksel Holmsen...
Le damasquinage aurait été connu en Grèce à l'âge de bronze, mais le terme renvoie à une origine syrienne (Damas). Il a été pratiqué au Moyen-âge, et a connu un nouvel engouement, en bijouterie, au Japon (Shakudo ou zougan) et en Espagne. Ne pas confondre avec le niellage...
Deux bracelets de damascène et peinture (sur nacre/émail), Espagne, milieu XXe.
Les bracelets de damascène espagnols étaient souvent vendus comme souvenirs - de Majorque, etc... Mais le damasquinage a aussi été utilisé et modernisé par des artisans pour lesquels il n'était pas si traditionnel. Reed & Barton par exemple, une entreprise américaine établie en 1824 et spécialisée dans l'argenterie, a produit quelques bijoux en utilisant cette technique.
Les bracelets espagnols avec des parties peintes sont sujets à des associations plus hasardeuses... avec un pendentif chinois peinture sur nacre), un bracelet chinois représentant huit immortels (peinture sur os et filigrane), et un bracelet persan (mi-XXe?) représentant des paysages miniatures peint sur os, sur armature d'argent.
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