Tuesday, 18 March 2014

Livres pour chasser les cauchemars


Non, le livre ci-dessus n'est pas pour les enfants. Il vise plutôt à apprendre aux parents suspectés de manquer de l'autorité nécessaire au bien général à se prendre en mains. Moins vulgaire que le titre ne l'indique, en français comme dans son anglais original - Go the fuck to sleep.
La muse (sirène des pompiers?) de l'auteur répondait au doux nom de Vivien et avait deux ans lors de la genèse de l'oeuvre. L'auteur aurait du se méfier avant de donner ce joli prénom à la belle, l'expérience nous ayant donné à voir une autre Vivien incarner à la perfection (dons d'actrice ou rôles sur mesure?) cette chipie de Scarlett O'Hara et Blanche Dubois. Le prénom, ou l'adulation d'une chipie du Sud par Papa, joue forcément dans la construction de la personnalité.
Ceci dit, le livre n'aurait pas eu un tel succès s'il n'avait concerné que les parents de petits Brutus, Vivienne, Anthony ou Brigitte. Le petit individu qui essaie quasi-quotidiennement de me transformer en doudou géant ne porte aucun de ces noms.
Amusant: l'idée du livre s'est développée via Facebook.
Le livre a été un best-seller aux Etats-Unis avant de toucher le reste du monde. Le décalage entre fausse comptine mais vraie rumination exaspérée et images trop kawaii est assez irrésistible. Le texte a été lu par Samuel L. Jackson dans un audio-livre (audioguide?) réussi. Les sieurs Mansbach et Jackson se sont amusés à réaliser sur un mode similaire une pub de campagne pour la réelection de Barack Obama, "Wake the fuck up". Mr. Mansbach a par ailleurs publié une version douce pour enfants que j'aimerais vivement me procurer.

Pourquoi ces soirées éprouvantes, gâchées, ou infernales?
Pourquoi les nuits hachées menu?
L'enfant cherche un maximum de confort et de sécurité (dormir dans les bras, par exemple), refuse de s'abandonner aux bras de Morphée, cet étranger... Les parents épuisés travaillent ou réagissent dans un état semi-comateux, à moins que, sournoisement contaminés par les angoisses de l'enfant, ils ne préfèrent rester auprès de lui, au cas où...

La faute donc au monde, aux peurs enfantines, et pas seulement aux enfants pervers et aux parents lâches. Si l'enfant est un adulte en devenir, l'adulte héberge ou cache en lui un enfant. Chacun conçoit son rôle à sa façon. Certains parents se sentent responsables de l'enfant face à des parents suprêmes, autorité maritale, autorités (grand)parentales, lignée ou postérité, etc, à la façon d'un simple aîné; d'autres se croient responsables en tant que possesseurs ou dresseurs; ou par rapport à l'adulte futur, en tant qu'éducateurs. Respecter n'est pas se croire débiteur, se respecter n'est pas se croire créancier. Difficile de communiquer avec un jeune enfant, mais il faut bien lui accorder la présomption d'innocence et un peu d'intérêt, compatir aux douleurs de croissance, parler de ce qui fait peur et aider à trouver ce qui rassure.

Lorenzo Mattoti

Ilya Green

Les fantômes n'existent peut-être pas, mais les cauchemars et terreurs nocturnes, oui. Je ne suis pas même sûre de moi à propos des fantômes. Les enfants doivent percevoir des choses particulières, pour si facilement croire en leurs amis imaginaires, ou croire pouvoir voler, par exemple. Le mien a découvert le terme de fantôme avec un épisode de Saturnin, le caneton-facteur: Belette se déguisait en fantôme hantant un château pour y chercher un trésor en paix, la nuit; Saturnin comprenait aussitôt et la mettait en fuite en se déguisant à son tour. L'enfant sait qu'il n'arrive jamais rien de grave à Saturnin, il comprend tout seul et rit beaucoup... puis quelques semaines ou mois plus tard, déclare avoir peur des fantômes. Si ce n'était les fantômes, ce serait les monstres, le loup, ou autre chose. La peur de dormir seul prend des proportions terribles, le parent épuisé ou contaminé ne peut plus dormir non plus que s'il entend le souffle régulier du soleil de sa vie... les livres donneurs de leçons horripilent...

Mais reprenons étape par étape.



1) Nous instaurons des rituels.

D'abord un livre à trou pour tous-petits, publié en 2010 par Benoît Marchon et Soledad Bravi. Le visage de l'enfant est inséré, au fil des pages, dans un chou à la crème, sur un oiseau (bonne nuit mon oiseau des îles, bonne nuit ma colombe, bonne nuit mon canard...), une crevette, un soleil, etc.




Grand classique américain datant de 1947... un livre pour saluer le monde et s'enfoncer dans le sommeil 'en pleine conscience'... par loin du training autogène!
La personnalité et la vie trop brève de Margaret Wise Brown (pseudos divers, liaisons variées, dont une longue histoire avec l'ex-femme de John Barrymore, une belle cougar avant l'heure, ou des fiançailles avec un Rockfeller...) ont certainement tout autant fasciné que par ses œuvres. 




Un grand succès britannique, publié en 2002. Le roi, toujours pressé, envoie un soir à son petit prince un baiser-papillon qui, au lieu de se poser comme dû sur la joue du destinataire, sort par la fenêtre. Affaire d'Etat. L'on envoie le plus fidèle chevalier du royaume à la poursuite du baiser voyageur. Aucun ingrédient utile n'est omis dans ce joli conte - l'humour compris.





2) On menace, on se fâche.

Jeanne Ashbé est l'auteur et illustratrice d'une cinquantaine de livres pour jeunes enfants, dont beaucoup ont été traduits et couverts de prix ici et là. Elle narre ici la révolte d'un couple contre le biberon de mi-nuit, en expliquant aux petits anges que le petit déjeuner viendra à point, et qu'il est plus agréable de partager un bon moment que d'imposer des corvées...
Bémol: elle ne dit pas que faire en cas de maux d'estomac ou crampes nocturnes, entre autres ennuis.




L'enfant est plus grand chez Pascale Bougeault, mais les parents ressemblent beaucoup à ceux du livre de Jeanne Ashbé. Ici, Louis ne veut pas dormir dans son lit. Celui de ses parents est plus chaud, plus doux, plus grand (quand on a poussé les autres résidents dans les coins)... Les autochtones se révoltent. Louis n'a plus qu'à trouver la Force, en bon apprenti Jedi (j'en rajoute, mais il y aurait à écrire sur les padawans qui choisissent le côté obscur).




Je parie que du café coule dans les veines du père du petit monstre de Mario Ramos. Un grand classique depuis 1996, avec une bonne chute: le petit monstre n'est pas bête du tout!




3) On délègue.

Les 3 histoires de ce recueil sont adorables, mais la première est particulièrement bonne à faire lire par les grands-parents, chez les grands-parents. Titre original: What's that noise? Texte de Francesca Simons (une ex-médiévaliste américaine), illustrations de David Melling.





4) On suggère des solutions:

Mercer Mayer est un spécialiste.
Entre autres ouvrages, cet Américain a publié There's a Nightmare in My Closet (1968), There's an Alligator Under My Bed (1987), There's Something in My Attic (1988). Il délivre à travers cette trilogie de précieux conseils afin d'aider les enfants déterminés à lutter contre le monstre du placard, l'alligator sous le lit ou le cauchemar du grenier. C'est "Monstres et compagnie" avant l'heure.
Les critiques anglophones, dont l'influent James Woods, ont comparé ces livres à Max et les Maximonstres en faveur du dernier. Les parents n'en ont fait qu'à leur tête, et l'histoire du monstre du placard a connu une quinzaine d'éditions et rééditions aux Etats-Unis...





Le grand classique...
Publié en 1963 aux Etats-Unis, en 1967 en France, sans cesse réédité, couvert d'honneurs (Caldecott Medal 1964, etc.), adapté à l'opéra, en dessin animé, en ballet, et bien entendu au cinéma.
Objet: ne pas craindre les monstres, les apprivoiser (à défaut de les civiliser, ce qui serait sans aucun intérêt).  



5) On explique la nuit...

Yvan Pommaux, qui a publié depuis 1972 de nombreux ouvrages pour enfants et jeunes adolescents, garde toute son originalité. La bande dessinée l'a visiblement influencé: ligne claire pour le dessin, séquençage voire cases dans les albums destinés aux plus grands... Il rend souvent hommage aux grands films classiques (Le grand sommeil, John Chatterton détective...). Ses héros sont souvent des animaux humanisés, et les chats sont particulièrement intéressants. Cette aventure d'un jeune chat, lorsqu'il décide pour la première fois de sortir seul la nuit, peut représenter le sommeil, les rêves, les cauchemars. La nuit d'un petit homme n'est pas, non plus, un long fleuve tranquille. Il y a des angoisses, des plaisirs, des surprises, des dangers, mais dans tous les cas quelqu'un veille sur le héros...




6) On s'interroge, on interroge...

Que fait l'enfant pendant qu'il dort, à quoi pense-t-il, où est-il?
Qu'est-ce qui le trouble, qu'est-ce qu'il rejette, qu'est-ce qu'il redoute?
Proposer des images pour faire formuler le diffus ou l'impensé peut aider... l'adulte à identifier les craintes, l'enfant à mettre de la distance (Alice, Blanche-neige, Moumine vivent dans leur monde, de l'autre côté de la page, et leurs aventures sont leurs aventures).

Anthony Browne

Charles Santore

Tove Jansson

Pour Hans Christian Andersen, ‘The Little Mermaid’: Jiri Trnka 1959

Jiri Trnka 1959

Un livre ouvert, à ressentir et interpréter: le Masque (Stéphane Servant et Ilya Green). "Petit frère" trouve un masque et le met. Il commence alors à se transformer, avec plaisir dans un premier temps, puis malgré lui. Il fait peur, il fait mal, on ne le reconnait pas. Il a perdu son identité et sa place. Grande sœur le délivrera du masque...
Dans les rêves ou les cauchemars, on projette quelque chose de soi dans chaque personnage, et pas seulement en celui qui nous ressemble ou porte notre nom. Si l'on se projette avec la même intensité en plusieurs personnages, qui est-on? Se voir être ou agir, c'est effrayant. Le Masque est un livre très intéressant, mais autant le lire soi même puis avec l'enfant, en lui proposant une interprétation, avant de le lui laisser!







7) On promet que le jour reviendra, avec une conviction renforcée par une longue habitude...

La petite héroïne de "Réveillés les premiers" profite bien de la situation. Elle partage le monde avec le chat et veille sur le sommeil de ses parents et de sa sœur. Elle est responsable et autonome, mûre pour ce grand cadeau: un moment rien qu'à elle.

Réveillés les premiers, Komako Sakaï


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