Wednesday, 23 April 2014

Collectionnite, op.2

J'ai toujours aimé "collectionner", au sens de rassembler, mettre à l'abri, les choses: timbres, cartes à pub, galets ou coquillages de plages diverses, plumes, graines, etc. D'autres ont collecté les cendriers ou boîtes d'allumettes de restaurants/hôtels, cartes à puces, menue monnaie, choppes ou sets de bière... C'est le type de collection dont on ne fait en général rien, faute de savoir l'exploiter, ou de lui donner, le temps passant, une autre valeur que nostalgique. La collection se périme aux yeux du collectionneur inconstant. C'est un objet transitionnel, une collection-doudou.

J'ai beau faire, je regrette de ne pas avoir ramassé et ramené de pierres des différentes éruptions de l'Etna et des volcans islandais que j'ai approchés, de n'avoir photographié, comme orchidées sauvages, que les plus fréquentes et locales, et de ne posséder que des mues de cigales communes. J'admire les collectionneurs sérieux et organisés, qui n'enterrent pas leur collection, mais la vivent et la font vivre, et tirent enseignement et sujets de réflexion, et la transmettent ainsi enrichie, ou au moins transmettent un savoir et une analyse, ou des créations inspirées...

Il y a quantité de nouveaux objets possibles de collection, internet aidant. Des champs nouveaux à explorer. Rien ne dit qu'ils seront explorés, pourtant. Les gens donnent ou démembrent leur collection pour passer à autre chose, nouvelle collection ou achat d'une voiture. Nous serions visiblement prêts à ne plus avoir que des biens périssables, à l'obsolescence programmée. Dommage pour tous, ils sont durables, non-recyclables à court ou moyen terme, et leur fabrication est polluante. Et il en faut toujours d'autres: on déménage, on a envie de changer, de remplacer. On voudrait peut-être rester des enfants et poursuivre notre croissance, avoir de nouveaux habits chaque année... des habits neufs, de préférence.
Autre élément contraire à la constitution de collections modernes, l'esprit de compétition de certains collectionneurs acharnés, qui préfèrent détruire les doublons plutôt que d'être menacés dans leur statut... et le défaitisme de ceux qui ne voient pas ce qui pourrait les motiver en dehors de la volonté de l'emporter, y compris sur les musées et bibliothèques...

Collectionner, c'est donner de la valeur aux objets. Le seul talent de Van Gogh ne donnait pas grande valeur à ses tableaux. Il fallait que ce talent soit perçu et affirmé dans le temps. Des collectionneurs, donc. Et bien oui, ils s'attachaient à des objets et les aimaient, non en tant qu'objets mais en tant que cristallisation d'une pensée, matérialisation d'une intention, témoins reçus directement ou pas, liens entre des êtres humains, et lien de soi à soi aussi, au vu de ce qu'ils pouvaient voir ou imaginer en ces objets. Pourquoi stigmatiser les collectionneurs? Ils sont bien utiles, et pas forcément riches ou indûment riches.

Elsa Schiaparelli
Outre les timbres, les cartes publicitaires, les étiquettes de bouteilles de vin et les anciens francs, on peut collectionner les bijoux fantaisie. Ils passent désormais les frontières et acquièrent valeur historique. Pendant un certain temps, les Français ne se sont intéressés qu'aux bijoux-accessoires de mode des grands couturiers: Elsa Schiaparelli, Chanel, Yves Saint-Laurent, Christian Lacroix... ceux dont on collectionne les flacons ou miniatures-échantillons de parfums... et éventuellement ceux d'artisans-artistes parisiens, Line Vautrin notamment. Les uns continuent, d'autres suivent les modes Hipanema & co., ou achètent aux Galeries Lafayette et chez Monoprix. Alors que pour parfois à peine plus on pourrait avoir du néo-égyptien, rétro, art déco ou moderniste...

Miriam Haskell
Les Américains ont donné une autre dimension à cet intérêt très élitiste (ces bijoux-là n'ont jamais été bon marché). Les Américains ont eu quantité de producteurs de bijoux "fantaisie", et ce sur de bien plus longues durées que la France, d'où des évolutions passionnantes à observer, étudier ou expliquer. Les Etats-Unis ont produits beaucoup plus de bijoux industriels que les Etats européens. Définition préalable: le bijou fantaisie est fabriqué de façon industrielle, à grande échelle, à partir de matériaux divers (métal, verre, plastique, nacre, textiles...). Sa production vise une rentabilité maximale : le coût des matériaux est bas, le temps de fabrication est court, la main d’œuvre est non ou peu qualifiée/spécialisée, donc "bon marché". On a remplacé les pierres précieuses par des pierres fines, de l'émail ou du verre, ou du plastique, l'or par de l'argent, du cuivre, du bronze, du laiton... Il n'est pas pour autant dénué de valeur. Certaines séries, ou des parures complètes, sont rares. Et surtout, les dessinateurs ou stylistes avaient souvent du talent, un sens de l'innovation, de la combinaison, et de l'instinct. On pouvait s'inspirer de bijoux historiques, mais pas question de se borner à copier les joailliers. Le faible coût des matériaux donnait une liberté de création, on pouvait faire grand, ou moderne... délaisser les métaux requis par l'industrie de guerre était patriotique...
Jacob Bengel
La "costume jewelry" américaine pourrait avoir une double inspiration: une inspiration européenne (Coco Chanel, Schiapparelli...) et une inspiration hollywoodienne. Le bijou d'inspiration Art Déco s'est développé dans l'entre-deux-guerres, et notamment durant la grande dépression: longs colliers, bracelets-manchette, porte-cigarettes... utilisation de la marcassite et de la galalithe (à l'imitation pour cette dernière de l'entreprise allemande de Jacob Bengel)...
Hobé
Castlecliff
Emmons

Goldette

Panetta

Judy Lee

Saint-John

Trifari

Pennino

Napier

Alice Caviness

Les Bernard

La compagnie Whitney and Rice, créée en 1875, devint Napier en 1922.
Emmanuel Cohn et Carl Rosenberg créèrent en 1901/1902 Cohn & Rosenberg, qui devint Coro en 1943.
David Lisner créa sa compagnie en 1904.
Trifari a été fondée en 1912.
Miriam Haskell commença à créer des bijoux artisanalement, avec des éléments de Gripoix, des perles de verre vénitiennes ou tchèques, puis créa sa compagnie dans les années 1920, mais produisit toujours en quantité limitée, ce qui contribue à justifier le prix actuel de ses créations. Nettie Rosentein, d'origine autrichienne, débuta à la même période.
William Hobé, d'origine française, créa sa compagnie aux Etats-Unis à la même époque. Il fut chargé de parer les danseuses des Ziegfeld Folies... et fit sa publicité avec  Bette Davis, Carole Lombard, Ava Gardner et Barbara Stanwyck.
Les frères Joseph et Louis Mazer, d'origine russe, créèrent leur entreprise en 1927.
Les frères Pennino ont produit de 1927 à 1966.
Eugen Joseff, "jeweller for the silver screen" (voir Shirley Temple dans Little Princess, Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent, Liz Taylor dans Cléopâtre...), créa en 1935 Joseff of Hollywood Inc. Joan Crawford, Marlène Dietrich, Marylin Monroe portaient ses bijoux hors studios, et bien des femmes souhaitaient avoir les mêmes...
Marcel Boucher, d'origine française et ancien dessinateur chez Mazer, ouvrit sa compagnie en 1937.
Joseph Chorbagian créa Hollycraft en 1938, Henry Schreiner ouvrit la Schreiner Jewelry Company en 1939.
Robert Levey, David Jaffe and Irving Landsman fondèrent Fashioncraft en 1942. Albert Weiss ouvrit sa compagnie la même année.
Louis Kramer créa son entreprise en 1943
Les créateurs DeLizza et Elster produisirent des bijoux de verre assez spectaculaires de 1947 aux années 1980.
L'entreprise Sarah Coventry apparut en 1949.
Il faudrait aussi citer Castlecliff, Alice Caviness, Ciner, Emmons, Judy Lee, Monet, Panetta, Sellini, Swoboda, les Britanniques, les Français... Chaque marque avait un profil particulier. Certaines étaient plus ou moins haut de gamme, ou proposaient différentes gammes de bijoux. Leur évolution est assez passionnante. Ils sont emblématiques des grandes périodes art déco, rétro, art moderne... L'histoire de la peinture au XXe est connue, celle-ci l'est peu.

Juliana

Lisner

Trifari

Swoboda

Kramer

Joseff of Hollywood

Jomaz

Florenza
Coro

Schreiner

Sellini

Sarah Coventry

Si vous avez remarqué avec Coro et Monet que les créateurs de bijoux américains affectionnaient les noms inspirés de ceux de peintres français, sachez qu'il y a également eu Renoir et Matisse. Jerry Fels fonda Renoir en 1946, et produisit des bijoux en cuivre, modernistes; les pièces émaillées sont signées Matisse.

Renoir/Matisse

Renoir/Matisse


Faut-il préciser que la France, le Royaume-Uni et la France n'ont pas eu le monopole du bijou fantaisie "de créateur"? On pourrait évoquer les "écoles" mexicaine, avec Taxco, et scandinaves (Danecraft...), qui ont travaillé l'argent et l'émail de façon très spécifique, avec de très grands artistes, mais aussi dans une approche plus artisanale.
Los Castillo, Taxco

Si quelqu'un cherche une acheteuse, ou autre profil similaire, afin de constituer un musée, une fondation, une simple collection (même de broches sapin de Noël ou cheval... pour les broches caniches et clowns, mon prix sera beaucoup plus élevé), je peux suggérer une personne, angliciste, prête à voyager, (re)chercher, enquêter, etc.
Ciner

Juliana
Trifari
Sérieusement, ce n'est pas une affaire de coquettes. Ne serait-il pas intéressant de s'interroger sur...
L'astrologie et les bijoux fantaisie?
Les relations entre entrepreneurs et créateurs: credos, vetos, egos?
Les procès?
La "renaissance égyptienne"?
Les bijoux de crise? (jusqu'au minimalisme actuel)
Les bijoux et la politique, avec les bijoux patriotiques bleu blanc rouge, les explosions d'étoiles, les éléphants et les ânes, l'inspiration inca...
L'apport culturel des immigrants américains?
La sous-traitance en Asie et le problème de conservation des savoirs-faire et traditions...

No comments:

Post a Comment