L'urbanisation est dépassée, place à la bétonisation.
Ce terme évoque toujours pour moi des champs de grues sur champs de mousse, en périphérie de Reykjavik - capitale de l'Islande, pour qui serait mauvais en géographie, littérature, actualité culturelle locale (la Comédie du Livre est consacrée en 2014 aux littératures nordiques), musique (Bjork...), etc. Il parait que les grues se sont figées avec la crise financière mondiale. Si un célèbre auteur islandais de romans policiers y a déjà situé une intrigue, j'ai mal fait mon travail de lectrice.
Les grues d'ici ne s'arrêtent pas. Dommage, j'aurais aimé assisté à leur envol vers d'autres contrées... Les grues cendrées sont migratrices, pas les grues métallisées.
Une association "Non au béton" a protesté contre l'extension urbaine vers le nord, et maintenant tous azimuts. Au moment où l'on ouvre des jardins partagés aux Arceaux, quartier plutôt vert (proximité de squares, jardin des Plantes, Peyrou...) ses arguments méritent d'être considérés. Ce ne sont pas des écologistes agressifs cassant du sucre sur le dos de leur prochain: Non au béton. L'association présente des propositions utiles, protection de la ceinture verte, valorisation de l’aqueduc Saint-Clément, création d'un "agriparc", sauvegarde de champs et vignes en les mettant au service d'un lycée agricole (autre avantage: diminution des coûts de transports et risques pour les élèves...), sauvegarde de pinèdes et des prairies à orchidées, maintien d'une agriculture de proximité, valorisation par les espaces naturels, sentiers de découverte botanique, jardins familiaux, etc.
Pragmatiques, les membres de l'association font des propositions compatibles avec le schéma de cohérence territoriale (Scot) institué par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 en remplacement de l'ancien schéma directeur.
Allez sur leur site et lisez tout. La machine à construire s'est emballée autour de Montpellier, et c'est une machine à détruire. Pas seulement la richesse de la nature, sa diversité et ses équilibres. Etant donnés les chiffres du chômage dans la région, quel avenir construit-on pour les habitants présents et futurs? Les immeubles flambant neufs, croyez vous qu'ils vont longtemps garder une allure correcte? C'est le miroir aux alouettes... Si les Montpelliérains voulaient vivre à Paris, Lyon ou Marseille, est-ce qu'ils ne s'y seraient pas installés?
Nous devons à la prolifération de grues dans nos contrées (et je ne parle pas de dames à la patience louable faisant le pied de grue) une métamorphose profonde de la physionomie de la ville. Vous ai-je montré l'Ecusson? Les façades même noircies par la pollution restent belles; le lit taggé du "Merdançon" n'est pas indigne de la légende; la vieille pierre friable parfois constellée de coquillages antédiluviens, les balcons de fer forgé, les toits de tuile, les contre-hauts et contre-bas, les grands arbres, mascarons, fontaines, boutiques ont du charme. Beaucoup. La pierre est dorée au soleil, ocre sous la pluie.
Le béton, lui, est gris souris ou gris taupe. Les dryades ne l'égaient pas davantage que le linge aux fenêtres. C'est carcéral. PERSONNE à Montpellier ni parmi les architectes retenus n'a jamais entendu parler (tant qu'à faire du logement social) du Karl-Marx-Hof, qui a pourtant près de 90 ans, et n'est pas seul de son espèce. Lisez cet article de l'Expansion ou d'autres et cherchez des photos, vous ne perdrez pas votre temps.
La ville est pourtant habituée aux variations démographiques. Pour ne parler que des plus récentes, il y a eu l'exode rural, la massification de l'enseignement supérieur et l'explosion des campus, les indépendances en Afrique du Nord et l'installation de rapatriés, de harkis, puis l'immigration...
Jamais cependant la bétonisation n'avait pris une telle ampleur. On a d'abord bâti des maisonnettes, des lotissements, un campus (Paul Valéry), des quartiers d’hôpitaux... puis des barres d'immeubles, Figuerolles, le Petit-Bard, la Paillade... puis Georges Frèche a lancé les travaux d'Antigone à la fin des années 70, un peu dans la continuité du Polygone de son prédécesseur à la mairie. Que la ville s'empare des terrains autour du lycée Joffre, ancienne citadelle militaire, était une sorte de revanche civile. Mais de là à vouloir faire de Montpellier une métropole... Ces immeubles pourraient se trouver (pousser, puisqu'ils poussent comme des champignons, juste moins proprement) absolument n'importe où. En Amérique du Sud, en Norvège... Ils sont aussi "neutres" qu'un supermarché. J'avoue que je saurais peut-être distinguer un Carrefour d'un Wallmart, mais pas d'un Monoprix.
Il y avait des questions de rivalité avec l'ambitieuse (à l'époque) ville de Nîmes, puis avec Toulouse, sur les plans universitaire et industriel, voire Barcelone. Curieusement chez le biterrois Georges Frèche, l'idée de revanche ou de réparation de dommages historiques semble avoir toujours largement joué. Certes, il était professeur d'histoire du Droit, donc une idée du Juste, et une idée du fil historique. Mais la logorrhée bétonnière, comme la logorrhée verbale, est maladive, noie le sens, trahit l'intention. Un maire ne peut pas être et Jacques Cœur et Jacques d'Aragon et Rabelais, et lui-même et leur sauveur. Il a enterré les botanistes historiques aux pieds de leurs plantes rares, Magnol sous un magnolia maladif. Il a du pester de voir les noms des architectes des XVII° et XVIII° siècles toujours plus éclatants que ceux des très chers artisans des nouveaux quartiers. Il a du désespérer des Montpelliérains, qui n'ont pas la veine commerçante des très anciens, et de tous les obstacles qui s'opposaient à la transformation de la ville en port.
Car, oui, le Lez a beau ne pas être tout à fait à sec, Port Marianne, le nouveau quartier côté route des plages, ne deviendra pas un port de plaisance. L'immeuble "L'Amiral" et le "Port d'attache" ne verront pas de yachts. Allez comprendre.
On en restera, pour embêter les canards, au FISE, festival des sports de glisse...
Observez, je vous prie, l'élégance architecturale. Pour commencer, le faux phare, ou colombier. La Colombière, à Montpellier, est la partie du centre hospitalier universitaire consacrée aux malades mentaux, dépressifs et grands anxieux, ceux dont on craint qu'ils ne s'envolent ou ne sautent sans parachute.
La résidence hôtelière 3 étoiles... presque aussi hospitalière que la résidence universitaire proche...
La promenade des Anglais...
Un bel intrus, le tramway de la ligne 3, habillé par Christian Lacroix.
Tout ça pour ça: la mairie. Réalisée sur les plans des architectes Jean Nouvel et François Fontès pour environ 110 millions d'euros, elle accueille une centrale photovoltaïque. Il devrait aussi y avoir un jardin.
Avantage notable: on la voit de loin, ce qui permet de se retrouver son chemin dans un paysage en plein séisme.
Le hall d'accueil heureusement est agréable. La lumière, le sol et le plafond ont été bien pensés. Ce sont des œuvres photographiques du plasticien Alain Fleischer qui son accrochées au plafond de ce hall; ici, un montage de reproductions de documents des archives municipales.
L'Amiral du port qui n'existe pas... Enfin un brin de pragmatisme: pourquoi payer encore une fortune à faire venir de l'eau à Port Marianne quand le niveau de la mer pourrait s'élever de plus d'un mètre d'ici moins de 60 ans!
Le plus charmant dans ce chantier, c'est clairement les rochers peints. J'ignore le nom de l'artiste.
Lieu de vie vivant, ou maquette?
Affiche programme de la Comédie du Livre, en deux langues, puisque les touristes logent à le résidence hôtelière 3 étoiles, et qu'après tout on ne sait trop d'où viennent les habitants des nouveaux quartiers...
Tout ne serait pas si triste s'il y avait de vrais espaces verts, pas juste des collines arasées, des monticules éventrés, des cendres de vignes et d'oliveraies, des friches plantées de sculptures couvertes de toiles d'araignées défuntes ("Tolérance", de Guy Ferrer: on tolère tous sauf la vie non "humaine").
Bureaux, commerces, parkings et personnes en boîtes. Inutile de préciser qu'on ne voit trace de piscines publiques, terrains de sport, bibliothèques.
J'ai trop vite écrit pas de terrains de sport: un énorme et luxueux centre de remise en forme et fitness devrait s'ouvrir, un "nuage" dessiné par Philippe Starck. Un tout petit peu plus doux dans les lignes que la boîte noire du show-room RBC.
« Nous vivons aujourd'hui dans le chaos des lignes droites, dans la jungle des lignes droites. Que celui qui ne veut pas le croire se donne la peine de compter les lignes droites qui l'entourent et il comprendra car il n'arrivera jamais au bout. (…) Cette jungle de lignes droites, qui nous enferment comme dans une prison, nous devons la supprimer. » (Hundertwasser, Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture, 1958).
J'ai trop vite écrit pas de terrains de sport: un énorme et luxueux centre de remise en forme et fitness devrait s'ouvrir, un "nuage" dessiné par Philippe Starck. Un tout petit peu plus doux dans les lignes que la boîte noire du show-room RBC.
« Nous vivons aujourd'hui dans le chaos des lignes droites, dans la jungle des lignes droites. Que celui qui ne veut pas le croire se donne la peine de compter les lignes droites qui l'entourent et il comprendra car il n'arrivera jamais au bout. (…) Cette jungle de lignes droites, qui nous enferment comme dans une prison, nous devons la supprimer. » (Hundertwasser, Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture, 1958).
Je ne sais pas pourquoi, mais je regrette beaucoup Hundertwasser... Le droit à la fenêtre, l'arbre locataire, les toilettes-humus, la société sans déchet, ça ne vous dit rien? L'idée de fracture entre l'homme et la nature dans la ville? Le concept de médecine de l'architecture? Pitié... visitez ce site sur son architecture, cet autre sur la maison Hundertwasser de Vienne, celui-ci sur la citadelle verte de Magdeburg.
Avez-vous entendu parler de cité-jardin?
C'est un terme quasi-inconnu dans la région méditerranéenne, ou l'on veut être en première ligne, ou en seconde, face à la mer - fut-elle bleu-gris comme ici, sable gris oblige, et non bleu-bonbon comme à Marseille ou Cassis...
"La cité-jardin: une histoire ancienne, une histoire d'avenir", titre un document pédagogique et tout à fait académique (Scéren, CRDP...) qu'il serait urgent de faire connaître...
Enfin un peu d'air, c'est le luxe version locale...
Et encore, on attend mieux avec les 12 "Folies" architecturales attendues d'ici 2018. Non, non, pas de demeures féeriques au milieu de grands parcs... Si l'architecture chère était agréable à voir, ceux qui l'habitent se sentiraient dépossédés. Pas question de faire du bien à l'âme des passants, ni de les laisser s'emplir les poumons de parfums de fleurs, les oreilles de bruits d'eau de fontaines... L'architecture sépare.
Il fut un temps où mon quartier même était une extension de la ville... Plus exactement, un lieu de cultures. Il y avait des vergers et des citernes voûtées avec norias. L'avenue de Lodève était une route nationale, Celleneuve était un village à 3 kilomètres d'ici. Il y avait quantité de citernes sur les rivières souterraines, la plupart ont été remplies, aussi vastes qu'elles aient été, pour construire. Les propriétaires les bouchent incognito, en temps d'urbanisation leurs terres perdraient leur valeur si l'existence de la citerne était connue, hors ancien cadastre. Tant pis pour les rivières. On n'a pas besoin actuellement d'eau naturellement courante ni de cultures vivrières à portée de main, on a les robinets et les supermarchés... ce serait tout de même drôle si on devait se mettre à quitter les villes, comme à la fin de l'empire romain, et que la majorité de la population se retrouvait en situation d'ouvriers agricoles "chasés"...
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