Saturday, 17 May 2014

La Sixtine du Languedoc


La Sixtine du Languedoc: c'est ainsi qu'on aurait parfois qualifié la chapelle des Pénitents blancs de la rue Jacques Cœur. C'est un bijou de l'art baroque, certes, mais... un bijou tout petit et reconstitué comme on l'a pu..

Cette chapelle, qui n'est pas ouverte en dehors des offices et des Journées du patrimoine, est consacrée à Sainte-Foy. Ste Foy n'est pas une petite sainte aveyronnaise, pensez donc à Santa Fe, en Californie et ailleurs... Foy aurait été une chrétienne de 12 ans de bonne famille, martyrisée à Agen en 290 ou 303, après l'arrivée du procurateur Dacien qui était chargé de faire appliquer les rescrits des co-empereurs Dioclétien et Maximien. Dénoncée comme chrétienne, elle aurait refusé de sacrifier à la déesse Diane. Elle aurait été placée sur un grill, mais la rosée apportée par une colombe aurait éteint le feu. Foy aurait été par la suite discrètement décapitée avec l'évêque Caprais. Ses reliques furent volées et reparurent à Conques, à partir de laquelle son culte se développa au Xe siècle. Le roi Pierre d'Aragon lui consacra ses Etats lorsqu'il devint seigneur de Montpellier. La fillette gallo-romaine devint ensuite une patronne secondaire de la chevalerie, et son culte s'étendit en Espagne, au Portugal, en Angleterre... bien que sa personnalité, d'après ce que l'on en sait, soit moins intéressante que celle de Diane.


Le nom de la chapelle Ste Foy apparait en 1228 dans le bullaire de Maguelone: c'est sa première apparition dans un document connu. Le texte traite d'un changement de statut juridique de la chapelle: elle existe donc alors depuis plusieurs années. On peut raisonnablement dater sa fondation de la fin du XII° siècle ou des premières années du XIII° siècle. Elle se situait dans le faubourg de Flocaria, qui se développait alors à proximité d'une porte de la ville, sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, le Cami Roumieu. Ce faubourg ne dépendait pas des seigneurs de Montpellier, les Guilhems et leurs successeurs les rois d'Aragon puis de Majorque. Il était administré par le prieur de Saint-Denis de Montpellièret, représentant de l'évêque, puis à partir de 1293 du roi de France. Au niveau paroissial, si la ville seigneuriale dépendait de Saint-Firmin, le faubourg épiscopal de Flocaria était rattaché à Saint-Denis de Montpellièret. Ce quartier fut englobé dans de nouveaux remparts après 1205, donc dans la commune clôture, l'actuel Ecusson; mais il conserva jusqu'au XVI° siècle un statut juridique spécifique: la Rectorie. A partir de 1240, la chapelle abrita aussi les séances solennelles de la faculté des Arts. Elle fut érigée en prieuré (pour peu de temps) en 1343.

Nous ne savons rien de l'aspect de la chapelle à cette époque, si ce n'est qu'elle présente un plan rectangulaire terminé par une abside semi-circulaire. Elle relevait d'un style roman assez simple. La chapelle fut embellie vers 1380, en pleine Guerre de Cent ans, en réparation des exactions commises lors de la révolte des Montpelliérains contre le duc d'Anjou, gouverneur du Languedoc et frère du roi Charles V. Trois chapellenies y furent fondées par Charles VI. La datation et la fonction du pontet qui la relie à l'hôtel particulier que Jacques Cœur, financier de Charles VII, fit édifier de l'autre côté de la rue, sont discutées. Aurait-il été construit pour les chanoines de Notre-Dame-des-Tables? Des textes attestent de l'édification d'un pont démontable en 1528 pour leur permettre d'accéder à la chapelle à partir de leur logement. Ils étaient alors logés dans une Canourgue, nom donné languedocien de la résidence des chanoines, au sud de la chapelle. Lors de récents travaux sur le lambris intérieur de la chapelle, la découverte d'une partie d'un linteau sur le mur sud a posé la question d'une éventuelle communication entre les deux bâtiments. Le pontet se rattache par son style au XV° siècle et il aurait aussi pu s'agir d'une pièce en surplomb de l'hôtel particulier, sans ouverture sur la chapelle.

Selon certains, les Pénitents blancs se seraient installés à Sainte-Foy peu après leur reconstitution, en 1517 ou 1518. Ils étaient au moins partiellement propriétaires de la chapelle avant 1568, puisque soixante ans plus tard les ruines de la chapelle furent restituées, et non données, à la Confrérie.

Les guerres de religion sévirent à Montpellier entre 1561 et 1622. En octobre 1561, les protestants chassèrent les autorités catholiques de la ville et assiégèrent les chanoines de Saint-Pierre, retranchés dans la cathédrale. On saccagea les œuvres d'art et le mobilier des églises et chapelles. En 1562, la ville fut mise en état de défense à l'approche des troupes royales et l'on s'attaqua aux couvents périphériques.
Les troubles reprirent en octobre 1567. Au printemps 1568, des protestants extrémistes choisirent de raser les édifices religieux plutôt que de les rendre aux catholiques comme le prévoyait la paix de Longjumeau. Selon un témoin, "Si des massacres de catholiques furent perpétrés durant ses terribles journées, rappelons aussi que de nombreux Huguenots risquèrent leur vie pour sauver des prêtres et des moines pourchassés et menacés de mort" (voir ici).
Proches du rempart, les ruines de la chapelle Sainte-Foy furent utilisées pour implanter une canonnière. La façade subsista, sauvée par la présence du pontet, ainsi que la base des murs latéraux, jusqu'à hauteur d'appui des bâtiments voisins. Le terrain servit par la suite, jusqu'en 1623, de cimetière à ciel ouvert. Ces épisodes de son histoire expliquent en partie les problèmes de stabilité et d'humidité du bâtiment actuel.

"Le vœu de Louis XIII" est l'une des toiles peintes pour combler les vides laissés par les saisies révolutionnaires. Intervenant peu après le rachat de la chapelle, cette commande fut confiée en 1812 à J.J. Reynès, spécialisé dans les décors de théâtre et de rue. Cette toile, dont la naïveté et la profusion de points de fuite rappellent les décors éphémères, illustre la présence de Louis XIII et Anne d'Autriche lors d'une messe dans la chapelle durant leur séjour à Montpellier, en 1632. Les souverains logeaient dans l'ancien hôtel de Jacques Cœur.

C'est à la suite de l'entrée de Louis XIII dans la ville que les Pénitents revinrent à Sainte Foy. Le 6 septembre 1623, Monseigneur Pierre de Fenouillet, évêque de Montpellier, restitua les ruines de l'ancienne église à la Confrérie. Les frères s'y rendirent en procession derrière une croix de bois de couleur rouge.

Les Pénitents blancs rebâtirent la chapelle en s'appuyant sur la base des murs médiévaux. La chapelle fut consacrée fin 1624. En 1627 fut posée une nouvelle cloche, toujours en place aujourd'hui. En 1632, lors de la visite de Louis XIII, seul le gros oeuvre était achevé. La ville avait entre-temps connu une  épidémie de peste meurtrière.

Suite au démantèlement du rempart de la ville, le bâtiment fut agrandi vers l'est et adopta un plan rectangulaire. Les Pénitents s'attachèrent alors à sa décoration.


Entre 1651 et 1655, la chapelle abrita le service paroissial de l'église Notre-Dame-des-Tables, en travaux de reconstitution. Quatre ans après,  les frères retrouvèrent le plein usage de leur chapelle. Elle fut alors dotée d'un retable, et du plafond à caissons peints dont nous pouvons aujourd'hui admirer la plus grande partie. Les murs furent habillés de lambris doré début XVIII° siècle, sur les plans de Daviler, architecte des Etats de Languedoc. Dans le prolongement de la chapelle, un cimetière s'achevait au niveau de l'Esplanade, par un bâtiment qui servait de salle de direction. Les Pénitents adaptèrent leur chapelle à un modèle de type italien alors commun à bien des chapelles de Pénitents de la période classique: plan rectangulaire, à nef unique et chevet plat, une tribune au nord et une autre tribune à l'ouest servant de chœur réservé aux membres de la Confrérie.


Durant la Révolution, la chapelle fut inventoriée et dépouillée de ses tableaux qui furent déposés dans les réserves de l'ancien collège des jésuites, l'actuel musée Fabre. Seule les toiles de l'avant du plafond restèrent en place. Les murs furent vendus comme bien national en 1793. La chapelle et son cimetière furent adjugés à Etienne Cairoche pour 39 200 livres. L'ancienne salle de direction ouvrant sur l'Esplanade et le cimetière, qui contenait encore des sépultures, furent revendus au Sieur Daubian à usage de maison avec jardin d'agrément. La Confrérie ne put jamais les récupérer. Le bâtiment principal de la chapelle servit successivement de hangar, dépôt de salpêtre, école, atelier... .

Puis les Pénitents blancs purent reprendre leurs activités au grand jour. En 1801 ils louèrent une partie de la chapelle pour la rendre au culte. N'ayant pu récupérer que trois des tableaux enlevés, dont deux étaient irréparables, ils durent remeubler la chapelle et se procurer des objets liturgiques. En 1805 ils rachetèrent les bâtiments aux héritiers Cairoche grâce à une souscription, puis dédommagèrent l'école qui occupait une partie des locaux. Ils restaurèrent et complétèrent les décors durant une trentaine d'années.

A la fin du XIX° siècle la Confrérie ne put s'opposer à la fermeture des fenêtres sud de la chapelle. Cette vicissitude, et l'impossibilité de réparer certaines altérations de la période révolutionnaire, entraînèrent d'importantes modifications à partir de 1875. Pour récupérer la lumière des fenêtres de la sacristie, le chœur des Pénitents fut transféré à l'arrière de l'autel. Ce nouvel espace fut ouvert sur la chapelle par un arc rempant. La grande tribune au-dessus de la porte sur la rue, qui servait jusque là de chœur, fut abattue, et celle située en dessous agrandie. Un oculus fut percé dans la façade de la chapelle. Ces nouvelles ouvertures compensant mal la perte des fenêtres sud, on installa un système d'éclairage au gaz et même, dès 1876, un projecteur électrique à pile, technologie militaire. Cet emploi de l'électricité fit sensation dans les journaux contemporains.


Durant les travaux de 1875, le maître-autel en marbre polychrome mis en place en 1805 fut entièrement dissimulé par un parement en bois doré. Les éléments en bois doré provenaient en partie du garde-corps de la grande tribune, sculpté en 1701: retaillés et complétés, ils furent adaptés à leur nouvel emplacement. Á l'occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2013, la Confrérie a présenté au public l'autel en marbre invisible depuis près de 140 ans. L'existence de deux autels superposés fait actuellement l'objet d'une étude des Monuments historiques.






A travers l'histoire des pénitents blancs, on voit une partie de l'histoire de Montpellier, ou de France: essor des villes et de la bourgeoisie, guerres des religions, épidémies, jansénisme, révolution française...
Un résumé, pour l'amour de l'histoire.
Comment peut-on marcher dans les rues d'une ville sans penser à ceux qui les ont parcourues, libres ou serfs, juifs ou huguenots, pestiférés, soldats ou flagellants, franc-maçons ou ultras, etc etc? Il en a vu, l'Ecusson...
Voici une facette d'histoire.

Les Pénitents sont des communautés catholiques composées de membres laïcs, organisées sous forme de confréries: chaque groupe est indépendant, sous l'autorité de l'évêque. La confrérie des pénitents blancs de Montpellier, apparue il y a plus de cinq siècles, se présente comme l'héritière de la confrérie de la vraie-croix, fondée en 1294.

Le Moyen-âge connaissait divers types de communautés d'entraide. On citera les confréries luminaires (entretien ou financement de l'éclairage des églises, attestées dès le IX° siècle), les confréries de métiers (présentes dès le XIII° siècle, elles se développèrent aux XIV° et XV° siècles), des confréries votives (activités autour d'un saint patron, de ses reliques, célébrations pour sa fête), des confréries à vocation hospitalière ou funéraire (liées au service d'un hospice ou d'un cimetière), des confréries de bassin (fraternités qui, particulièrement dans le sud-ouest, quêtaient dans un plateau ou bassin, pour une oeuvre de bienfaisance; la Confrérie du bassin de Saint-Claude de Montpellier est l'une des fraternités à l'origine des Pénitents Bleus), et des confréries de dévotion.

Les confréries de dévotion se développèrent à partir de la fin du XI° siècle, notamment sous l'impulsion des Bénédictins et des Prémontrés. Elles répondaient au désir de certains laïcs de se rapprocher de la régularité communautaire monastique, en conservant une vie sociale et familiale. Leur principale vocation était donc la prière et non une mission de bienfaisance.

Des confréries de pénitence se formèrent dans la seconde partie du XII°s. Le mouvement fut encouragé par les papes Alexandre III et Innocent III. Les membres de ces divers groupements se faisaient appeler disciplinés, reclus, béguins, humiliés, flagellants... Les flagellants apparurent à Pérouse vers 1260 sous l'impulsion d'un Dominicain. Ils finirent par être interdits, et certains membres rejoignirent d'autres fraternités.

En 1205, François d'Assise était membre de l'une de ses premières compagnies de Pénitents. Il s'en inspira pour créer en 1209 une nouvelle fraternité, les frères de la pénitence, dont les membres portaient une bure grise. Comme frères désirant un engagement de type monastique, François rédigea en 1221, une nouvelle règle, celle des Frères Mineurs ou Cordeliers. Les laïques proches de l'ordre conservèrent la forme confraternelle, qui se transforma progressivement pour donner un ordre séculier laïc, le Tiers-Ordre Franciscain, approuvé par la bulle supra Montem en 1289. À la différence des Confréries, un Tiers-Ordre dépendait d'une autorité unique et les vœux prononcés sont définitifs. L'autre grand ordre fondé au XIII° siècle, celui des frères prêcheurs, ou Dominicains, possédait également des branches laïques sous forme de milices ou de confréries. Certaines deviendront des confréries de pénitents. En 1285 les Dominicains organisèrent aussi leur Tiers-Ordre, approuvé en 1405.

Ces premières fraternités, souvent urbaines, adoptèrent une tenue spécifique appelée suivant les régions (sac, froc ou cappa), symbole d'humilité et d'égalité. Cet habit de forme religieuse, souvent gris ou blanc, les distinguait des membres d'autres groupes, qui ne portaient généralement qu'un signe de reconnaissance (brassard, manteau, capeline, écharpe, chapeau, médaille...).

Le premier cadre juridique connu pour des pénitents fut le Memoriale propositi accordé en 1221. Puis en 1264, le franciscain Bonaventure rédigea les plus anciens statuts de confrérie qui nous soient parvenus, la "Règle de l'amour du Christ". Ils furent adoptés par les "Recommandés de la Vierge Marie", ou Pénitents blancs du Gonfalon de Rome. Le modèle franchit les Alpes: des confréries de ce type sont mentionnées à Grasse, Marseille et Toulouse dès 1220. La première compagnie connue de manière certaine en France est la "Dévote et Royale Confrérie des Pénitents gris d'Avignon", fondée en 1226 par Louis VIII. Une confrérie des Pénitents rouges est attestée au XIV° siècle à Saint-Guilhem-le-Désert.

Les archives antérieures à 1602 des pénitents blancs ont été détruites. Selon la tradition, en 1517, quarante anciens frères d'une fraternité assimilable à un Tiers Ordre franciscain se réunirent pour fonder une nouvelle confrérie : la "Confrérie des Poenitens blancs sous le titre et invocation du benoist St Esprit". Cette fraternité aurait pu dériver d'un couvent de frères mineurs (cordeliers) fondé vers 1220 au faubourg de Lattes, entre les actuelles rues de Verdun et Maguelone. Ses bâtiments accueillaient une communauté permanente et des ecclésiastiques venus étudier dans la ville. Sous leur influence fut fondée, dans le deuxième quart du XIII° siècle, une fraternité de laïcs: les frères de la pénitence. Cette fraternité ne se développa guère et se serait par la suite transformée en un Tiers Ordre. Au début du XVI° siècle, les Cordeliers de Montpellier quittèrent leur couvent, où ils furent remplacés en 1526 par d'autres franciscains: les Observantins. Ceci pourrait expliquer une dispersion des frères de la pénitence, liés statutairement aux Cordeliers, et la constitution en 1517 d'une Confrérie de Pénitents indépendante... Rien n'est cependant certain; nombre de jeunes fraternités se rattachent artificiellement à des communautés plus anciennes.

Les pénitents blancs montpelliérains se considèrent par ailleurs comme les héritiers de la confrérie médiévale de la sainte vraie croix, constituée autour d'une relique ramenée de croisade par le Guilhem VI, seigneur de Montpellier en 1129. Certaines traditions en font un cadeau de l'Empereur de Byzance. Guilhem VI déposa la relique dans la chapelle de son ancien château seigneurial, situé sur l'actuelle place de la Canourgue. Il embrassa la vie monastique en 1149 et fonda dans ces mêmes murs une chapellenie. Le 5 décembre 1200, la chapelle, devenue entre-temps propriété de l'église Saint-Firmin, fut consacrée sous la titulature de Sainte Croix par l'évêque d'Arles. La plaque de marbre posée lors de cette consécration est aujourd'hui conservée par les Pénitents blancs. Le 31 octobre 1294 fut établie une confrérie votive. Appelée en occitan Cofrayria de Sancta Cros de la vila de Monpeylier, elle était chargée de veiller sur la relique et la chapelle. Cette confrérie fut dispersée au XVI° siècle par les Guerres de religion, et se reforma en 1615. Elle se fixa en 1661 dans une chapelle latérale de la cathédrale, étant donné que la chapelle Sainte-Croix avait été rasée en 1568, puis relevée par les Pénitents blancs en 1609. En 1617 elle comptait 194 confrères et 151 confréresses. La confrérie sera supprimée sous la Révolution en 1792, se reformera en 1803... confrontés à d'importantes difficultés de recrutement, ses derniers membres désigneront  les pénitents blancs comme leurs héritiers. Ils conservent le reliquaire et les archives remis par la dernière confréresse, la marquise de Louvencourt.

Le XVI° siècle fut une période troublée dans la région.
En 1539, François Ier ordonna la dissolution des confréries; mais cet édit visait surtout les ententes commerciales occultes entre confréries de métiers et eût peu de répercutions pour les pénitents. Il en alla autrement des Guerres de religion. Les troubles commencèrent très tôt à Montpellier comme le montre, dès 1554, l'exécution de Pierre Dalencon, brûlé pour hérésie. Les idées de Luther et de Calvin continuèrent à se propager, notamment à travers une partie du clergé ouvertement ou secrètement calviniste. En juillet 1561, les autorités royales et catholiques furent chassées par la rébellion de la faction protestante. Toutes les chapelles et églises de la ville furent saccagés. La ville passa alternativement sous le contrôle de chacune des deux factions. En 1571, les Pénitents, qui se réunissaient dans des maisons particulières, profitèrent des tentatives de pacification entreprises par le gouverneur de la Province Henri Ier de Montmorency, pour demander  à reprendre officiellement leurs activités. Ils furent accueillis dans la chapelle des Dominicains et hébergés sur la place de la Canourgue, chez de M. de Belleval (Hôtel Richer-de-Belleval). Avec l'accession au trône d'Henri III en 1574, leur situation sembla se stabiliser. On a beaucoup écrit sur la participation du roi à des processions de Pénitents à Paris. Le souverain espérait trouver parmi eux, en pleine guerre civile, des relais locaux à son autorité. Toutefois la situation se dégrada à nouveau; des catholiques furent arrêtés ou expulsés de Montpellier le 19 février 1577.

La paix fut rétablie avec l'avènement d'Henri IV et la proclamation de l'édit de Nantes, appliqué seulement en 1600 à Montpellier. Cependant cet édit portait les germes de conflits à venir: les cinquante places de sûreté dont le contrôle militaire avait été accordé au parti Protestant furent bientôt perçues comme un Etat dans l'Etat, et il s'ensuivit quelques décennies d'affrontements. Le retour des catholiques dans leurs églises à Montpellier suscita également des rixes, notamment à Notre-Dame-des-Tables, revendiquée par les deux partis.

En 1602, l'évêque de Montpellier autorisa la reconstitution de la confrérie des pénitents blancs. Il approuva leurs nouveaux statuts, les premiers qui nous soient parvenus. Les Pénitents ne pouvaient revenir dans l'église Sainte-Foy, considérée comme un emplacement stratégique en raison de sa proximité du rempart. L'évêque leur permit donc de s'installer dans la "voulte de la Vestiairie", grotte située sous l'actuelle place de la Canourgue, qui fut à cet effet bénie le 25 mai. La situation restait tendue et les pénitents furent parfois fois menacés. Leur nombre augmentait pourtant. En 1604 ils obtinrent d'un nouvel évêque  l'autorisation de relever les ruines de l'église Sainte Croix, juste au-dessus de leur grotte. La confrérie s'y installa en 1609. La nouvelle chapelle fut en 1614 dotée d'un retable réalisé par un sculpteur protestant.

La paix restait fragile et, en 1621, lorsque Louis XIII fit une descente militaire dans le Béarn afin de rétablir la liberté de culte pour les catholiques, des protestants prirent les armes. Pour la troisième fois en moins de soixante ans, toutes les églises de la ville furent rasées. La chapelle Sainte-Croix de la place de la Canourgue disparut définitivement. En état de rébellion armée, la ville fut assiégée par les troupes royales en 1622. Une paix garantissant la liberté de culte fut finalement signée, et le roi fit son entrée le 20 septembre. Les Pénitents blancs se reformèrent et s'installèrent provisoirement à Notre-Dame-du-Palais, oratoire aujourd'hui disparu. L'année suivante, l'évêque de Montpellier leur rendit l'antique église Sainte Foy. Les frères commencèrent immédiatement à rebâtir la chapelle. Les offices furent régulièrement célébrés dans la chapelle à partir de la nuit de noël 1624 et jusqu'à la Révolution,  y compris durant l'épidémie de peste de 1629. Cette même année, une nouvelle révolte de villes protestantes entraîna l'intervention des troupes royales. Ce fut la fin de la Paix de Montpellier accordée par le roi en 1622. Les places de sûreté concédées aux protestants furent supprimées, mais la liberté de culte maintenue.

L'évêque, Mgr de Fenouillet, améliora les statuts de la confrérie en 1610. Il s'inspira des confréries de pénitents crées sous l'impulsion  de son ami François de Sales, évêque de Genève en exil à Annecy. La Confrérie, résolument du parti catholique, réserva dans les années 1650 des places en tribune, cachées derrière des croisillons, aux huguenots qui désiraient assister aux offices en toute discrétion. Elle semble ici avoir été influencée par les jésuites, qui avaient leur collège à proximité, et par les préceptes de Saint François de Sales : persuadés de l'inutilité à long terme des conversions forcées, ils désiraient des conversions librement consenties. Les registres de 1685 n'évoquent pas la révocation de l'édit de Nantes et la confrérie ne participa pas aux mesures coercitives qui suivirent à Montpellier : conversions forcées avec assistance obligatoire à la messe, placements des enfants...

Entre 1698 et 1701, les pénitents blancs entrèrent en conflit avec leurs voisins oratoriens, soutenus par l'évêque; ceux-ci auraient souhaité contrôler une confrérie qui, fidèle à la condamnation pontificale, dénonçait ses convictions jansénistes de l'évêque. Au terme d'une longue procédure, les droits de la Confrérie furent confirmés par le parlement de Toulouse et les oratoriens furent déboutés.

La période qui suivit le concile de Trente (1542-1563) avait vu l'expansion du modèle des confréries de pénitents en Europe. La persistance de troubles armés retarda ce mouvement en Languedoc, la majorité des confréries de Pénitents n'y apparaissant que dans la deuxième moitié du XVII° siècle et au début du suivant. La confrérie des pénitents blancs de Montpellier connut alors l'apogée de sa puissance, avec près de 50 confréries affiliées, notamment en milieu rural. Chaque confrérie restait indépendante, mais les confréries-filles bénéficiaient des indulgences dont la confrérie-mère avait été gratifiée depuis 1602, puisque chaque pénitent recherchait des indulgences pour le salut de son âme et de celles de ses frères...

En 1723, les Pénitents assistèrent et firent dire des messes pour l'un des suppliciés de la Secte des multipliants, un pasteur protestant qui s'était converti avant son exécution et avait demandé à être enterré comme catholique. A partir là, la confrérie fut chargée par les autorités d'accompagner les condamnés à mort et de faire célébrer des messes pour le repos de leur âme.

Les Pénitents blancs étaient plus de mille à la veille de la Révolution, du petit artisan au duc et pair. Les principaux officiers de la confrérie étaient majoritairement des magistrats de la Cour des Comptes Aides et Finance, et plus rarement, des médecins. Les frais de fonctionnement de la confrérie étaient en effet à la charge de ceux qui exerçaient les principales fonctions de direction; le budget commun était destiné au culte, à l'entretien de la chapelle et aux œuvres. Soucieuse de maintenir un recrutement indispensable à l'équilibre de ses comptes, la confrérie tomba parfois, au XVIII° siècle, dans un recrutement purement mondain. Elle compta également des Francs-maçons, mais beaucoup moins que dans certaines confréries provençales.

A partir de 1746, les pénitents blancs ne sont plus les seuls pénitents de la ville (l'éphémère confrérie des pénitents gris avait disparu pendant les guerres de religion). La très ancienne confrérie de Saint-Claude, remontant à 1050, devint la "Dévote et Royale Compagnie des Pénitents bleus" et s'installa à proximité de la Babotte.

Les pénitents se divisèrent dès le commencement de la Révolution. La plupart étaient méfiants, voire hostiles, devant le projet de constitution civile du clergé. D'autres, sous la conduite de l'aumônier, l'abbé Léger, étaient acquis aux idées nouvelles. L'abbé prononça à la pentecôte 1790 un sermon qui entraîna de fortes réactions chez les frères, qui faillirent en arriver aux mains. Il fut appelé vers de nouvelles fonctions auprès de l'évêque constitutionnel et ne vint plus à la chapelle. Malgré ses opinions ouvertement favorables à la Révolution, le prieur élu en 1790, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, chercha le compromis. Lors de l'assemblée générale du 25 mars 1791 il favorisa la nomination d'un nouvel aumônier, l'abbé Martel, opposé à la constitution civile du clergé. Les pénitents restaient tiraillés entre les "partis". Le frère Valédeau proposa d'offrir l'asile de la chapelle à toutes les confréries privées de lieu de culte par les premières confiscations. Le 22 mai, lors d'une nouvelle assemblée générale, un frère posa la question de l'acceptation du serment; la séance fut interrompue par l'irruption d'une délégation des pénitents bleus annonçant qu'ils s'étaient ralliés à l'évêque constitutionnel schismatique et que leur aumônier avait prêté le serment. L'abbé Martel annonça qu'il refusait de prêter le serment exigé par l'Assemblée Constituante. Le parti favorable au serment lui demanda de démissionner et il partit, suivi par plusieurs frères. Lors des nominations du 9 avril 1792, la faction de la confrérie favorable à la constitution civile du clergé prit le contrôle du bureau. L'assemblée se la confrérie se réunit encore le 22, juste avant l'interdiction de la confrérie. La chapelle fut vendue comme bien national en 1793.
Au début de la Révolution la confrérie fit porter en triomphe le buste de Louis XVI, suivi de l'image du ministre Necker, symbole des idées nouvelles, lors d'une messe solennelle. La confrérie compta six frères et une sœur guillotinés sous la Terreur. Deux autres frères avaient voté la mort de l'ancien roi: Antoine Bonnier d'Alco et Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (avec sursis pour ce dernier). Bien d'autres s'engagèrent avec conviction dans la Révolution, voire participèrent à l'inventaire et au pillage de biens de l'Eglise, dont ceux de la chapelle.
Certains frères continuaient à se réunir secrètement à leur domicile ou dans une grotte située près du Jardin des Plantes, où ils faisaient parfois venir un prêtre réfractaire. A partir de 1797 ils récitaient clandestinement leurs offices dans l'ancienne chapelle de l'Observance sous le nom de "Société des frères, parents et amis réunis". Ils furent rejoints par d'anciens Pénitents bleus. Ils priaient ainsi au-dessus de la dépouille de Charles Bonaparte, père de Napoléon. Puis en 1799 ils louèrent l'ancienne chapelle Sainte-Anne. 

En 1801, sortis de la clandestinité, les pénitents louèrent leur ancienne chapelle Sainte-Foy et obtinrent de pouvoir y faire célébrer des messes. Ils la rachetèrent en 1804, mais durent la restaurer et trouver un accord avec l'école qui était installée dans une partie des locaux. Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, l'un des grands juristes à l'origine du Code Civil, deuxième consul, puis archichancelier de l'Empire, et enfin Duc de Parme (1808), fut prieur de la confrérie en 1790 et la protégea sous l'Empire. Toutefois ce n'est qu'en 1815 que la confrérie retrouva une existence légale. 

Les Pénitents reprirent leurs activités charitables et leurs anciens engagements contre l'esclavage, mais plutôt que d’œuvrer aux côtés des mercédaires pour le rachat des captifs de Méditerranée vendus comme esclaves en Afrique du Nord, ils visaient désormais la traite négrière au travers des ligues anti-esclavagistes. Ils organisèrent par ailleurs de grandes processions lors desquelles ils rivalisaient en faste avec les pénitents bleus, suscitant la réprobation de l'élite bourgeoise libérale qui y voyait une distraction inutile pour le petit peuple, et d'autres plus conservateurs, notamment issus du courant janséniste ou membres du clergé, y voyant une source de désordre.

En 1862, le futur  Cardinal de Rovérié de Cabrières et l'évêque Mgr Plantier devinrent membres de la confrérie. Il pouvait s'agir d'utiliser le réseau de confréries affiliées pour rechristianiser le Gard à partir d'une confrérie principale installée à Nîmes. Le cardinal de Cabrières resta attaché à la confrérie, partageant les positions légitimistes de la plupart de ses membres. Devenu évêque en 1874, il fonda l'Union des pénitents blancs de diocèse de Montpellier en 1876. Dans le cadre d'un grand élan de rechristianisation du XIX° s, de nombreuses confréries de pénitents apparaissent dans les villes et les villages des alentours qui, suivant l'usage du XVIII° s, voulurent s'affilier à la confrérie de Montpellier.

De nombreux Félibres défendirent les confréries de pénitents, et Frédéric Mistral fut prieur honoraire des pénitents blancs.

La fin du XIX° siècle fut difficile pour les confréries de pénitents : perte du droit de procéder aux enterrements (désormais monopole communal), interdiction des processions (arrêté municipal du 4 mai 1880) et du port de la cagoule... Les pénitents redéfinirent leurs rôle et buts. Ils accueillirent les réunions et les archives d'associations catholiques en difficulté, comme la société maternelle (venant en aide aux mères en difficulté). En 1905-1906, les lois de séparation de l'Église et de l'État entraînèrent l'épisode des inventaires. La confrérie démontra qu'elle avait acheté sa chapelle par une souscription et que celle-ci ne pouvait donc pas être qualifiée de chapelle de secours de la paroisse Notre-Dame-des-Tables. Elle fit faire par un huissier la liste de tous les objets donnés ou achetés grâce à une souscription des frères.

Durant les guerres mondiales, la confrérie se concentra sur la charité et la prière. En décembre 1940, les Pénitents contribuèrent à la fondation des jardins ouvriers du comte d'Espous, qui permettaient à quelques familles de cultiver un petit potager. Suite à la chute de la croix du Peyrou en 1920, les pénitents furent aussi chargés par l'évêque de Montpellier, de pourvoir à l'entretien des croix publiques. Il leur accorda le sous-titre de "Conservateur des croix publiques de la ville".

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