Saturday, 10 May 2014

Spoiler: Grand-prix du jury, section enfance insomniaque

Ménon, zefédéb'ag, pour citer mon baby. Je ne sais même pas ce que signifie "spoiler".
Croyez-vous que j'emploierais sérieusement un anglicisme à la mode? Fail! Je n'en connais pas. Je milite contre la tivi à domicile, les mediums, les medias. Vade retro la lucarne, Bush de là. Rien à faire des actu-people, des interviews exclusives d'ados, des folles soirées des joggeuses, des immenses exploits de la bourse, des parodies hilarantes du GM de la GLDF, des duos improbables, des confidences privées de vétérans barbus et décontractés aux bras de princesses girly, de l'histoire de la star endeuillée par la mort de l'amour de sa vie, conte cauchemardesque qui infuse l'avant-garde des ménagères culinaires, du manque d'implication de l'industrie du porno dans la relance d'Air-cocaïne, des experts mettant en garde contre les risques et des expertes qui en remettent une couche sur le public, du recrutement de chiffres-clés par tweets cryptés, de la redistribution du financement du nouvel eldorado transhumaniste, de l'indétrônable leadership des trolls sur les hackers, du goût amer de la défaite des informations judiciaires face aux racines du mal, des protagonistes qui épinglent les portraits-robots de disparus frappés par un drame, des démonstrations de force à l'honneur, du vide politique qui se plante, de l'OGM sexy qui a mis un frein à main aux prix, du coup de gueule du PDG réclamant le plafonnement de son burn-out et la planification d'un plan-yoga, du come-back de l'indignation sexy et des remakes de selfies; et je tacle instagram, advienne que pourra si ça fait le buzz, je ne me défausse pas, je l'officialise.
C'est bon pour les journalistes fraîchement sortis de l'école et désireux de faire accroire qu'ils maîtrisent le socio-dialecte, et pour les vieux journalistes voulant faire djeunes.

Avant de perdre votre latin, ou juste le b-a-ba, face à vos écrans, regardez quelques films...
Mes grands-prix et hommages, en ordre plus ou moins thématique.


Tout d'abord, quelques livres animés en courtes vidéos... Ce sont des classiques sans frontières.

Les bébés chouettes de Martin Waddell et Patrick Benson (illus.) ont été édités en France pour la première fois en 1993 (Ecole des Loisirs). L'album est au "programme" de maternelle, avec des séquences d'activités et d'apprentissage possibles en TPS, PS et MS (les enfants de chaque classe s'identifiant à l'un des bébés chouettes)... Thème: où est maman? C'est affreusement mignon, le dessin est beau, le texte est musical, et figurez-vous qu'il est essentiel de rassurer baby. Il appréciera de retrouver sur l'écran une histoire connue, et on commencera à le familiariser avec la langue anglaise. Pour poursuivre sur le même thème, vraiment central, on pourra passer à "Sur les traces de maman" (Frédéric Stehr, Ecole des Loisirs): deux petits hérissons veulent rejoindre leur maman, partie au marché... Même angoisse initiale, mais désormais les enfants marchent (plus ou moins) et cherchent à résoudre leurs problèmes, ce qui leur permet d'apprendre que tous les marcheurs laissent des empreintes, que tous les pieds ne sont pas semblables, que l'on peut traverser une rivière à pied sec, que tous les goûts sont dans la nature... et que l'on retrouve toujours sa maman.
Naturellement, ces albums poseront problème aux enfants dont la mère est absente. L'avenir est peut-être aux albums personnalisables. En attendant, à utiliser en alternance, si problème, avec les albums dans lesquels l'enfant est seul avec son papa, comme Anna et le gorille d'Anthony Brown, les albums de Mireille d'Allancé... Il serait dommage de se priver de jolis albums!


La chasse à l'ours... Autre grand thème important: la peur. Les albums sur la chasse à l'ours, Loup-y-es-tu, ou la visite d'une maison d'ogre, comme "Chhht" (Sally Grindley, Peter Utton, ill.; Ecole des Loisirs) permettent d'affronter la peur, de jouer avec elle - comme à la plage avec les vagues... et d'affronter plus précisément la peur d'être mangé. Non, ce n'est pas drôle d'avoir peur d'être mangé! C'est l'une des premières manifestations d'interrogations existentielles chez Baby: si les mamans ont des bébés dans le ventre, est-ce que c'est qu'elles les ont mangés? Non? Alors si les mamans donnent la vie, est-ce que les papas donnent la mort? Et nous voilà face à Cronos, le titan personnifiant le temps qui dévorait les dieux, ses enfants - comme le temps donne et reprend; face à Jocaste, la mère qui désire son fils et que son fils désire... Le loup, l'ours et l'ogre représentent un même cauchemar, de genre plutôt masculin, menaçant plutôt les garçons, ses rivaux (Poucet, Pierre, Jack ou les trois petits cochons) et devant être mis en échec par un ou  plusieurs personnages masculins (les mêmes, et les chasseurs) de façon à éviter de diaboliser la moitié de l'humanité. We're going on a bear hunt, par Michael Rosen et Helen Oxenbury (Ill.), est adorable, et traduit en français. Cherchez la version pop-up, elle est très belle. En vidéo, Rosen a enregistré une lecture, expressive et drôle, mais il a pour moi un côté Sam Finkler trop prononcé (lire La question Finkler, par Howard Jacobson).

La métamorphose... troisième thème essentiel de cette courte première partie! Elle symbolise, évidemment, le fait de grandir. On dévore la nourriture et on absorbe des connaissances (ici: noms de fruits, couleurs, dénombrement...), va-t-on éclater? Nooooon! Encouragez les enfants à grandir en leur disant que l'avenir sera splendide et qu'ils ne perdent rien. Cet album d'Eric Carle publié en 1995 est un autre grand classique de la maternelle. Le dessin peut plaire, par ses couleurs, sa transparence, ou irriter car non réaliste, on s'y habitue. 

Les livres de Mercer Mayer pour dormir tranquille... malgré l'alligator sous le lit ou le cauchemar du placard (je n'ai pas trouvé en vidéo de version fidèle de la chose du grenier). Thèmes: peur d'être seul, d'être dévoré, de grandir... et ressources infinies de l'enfance.



Partie nostalgie: De la diversité esthétique et vocale/sonore des anciennes séries, de l’intérêt de rejoindre l'enfant dans son univers tri-dimensionnel de pâte à modeler, de papier, de peluches et d'animaux domestiques
Enlevez le filtre "Comment ai-je pu ou comment a-t-on pu aimer ça, l'image et le son sont mauvais, les façons de parler sont désuètes, l'histoire est abêtissante". Réfléchissez: l'image et le son sont mauvais parce que tout a été enregistré sur film, et pas forcément de grande qualité ni bien conservé. Les protagonistes ne parlent pas ou ont des accents: vous n'avez pas d'accent du sud, de Paris, d'Alsace, d'accent français ou d'accent anglais? L'enfant, avant d'entendre des mots connus et des phrases compréhensibles, entend des voix, des intonations, et reconnait/isole des sons dont il a décrypté le sens. Inutile de tout "lisser", il n'apprendra pas plus vite. Sur route de terre comme goudronnée, une poussette et une trottinette restent une poussette et une trottinette. Supprimer aspérités et décor, c'est risquer d'ennuyer, et c'est mépriser le voyageur ou le frustrer de son voyage, c'est l'empêcher d'apprendre, lui imposer une pensée, le réduire à une "culture commune" a minima. Quant aux trois dimensions... pas besoin de les créer sur ordinateur quand elles existent. Et pourquoi "bricoler" avec pâte à modeler, papier, tissu? Parce que l'enfant ne se réduit pas à un intellect et à une fonction de "prescripteur" dans la consommation des ménages. C'est un être sensuel, qui a envie de malaxer, froisser, caresser, disposer les choses dans l'espace, faire, détruire, refaire... et il serait stupide de ne pas utiliser ces canaux pour communiquer avec lui, le toucher, l'entraîner, le stimuler... d'autant que l'enfant ne meurt pas en l'adulte, qui peut partager la joie de l'expérimentation, la jubilation de faire de l'enfant, et être d'autant plus avec lui.

Mio Mao: série italienne  de Francesco Misseri (2 séries: 1974 et 2005-2009), sans paroles, contant les aventures de deux chatons. 

Quaq quao: série italienne de 26 épisodes (5 minutes chacun) de Francesco Misseri (1978...), avec du papier plié (origami).

Le petit écho de la forêt: série d'animation hollandaise des années 80, avec marionnettes en tissu. 

L'ours Paddington: série britannique (BBC / CBBC) réalisée dans les années 75-79. Décors et personnages sont en papier, calqués sur les illustrations de l'auteur, sauf l'ourson et ses affaires, peluche et accessoires miniatures. C'est très charmant et, chose importante, le personnage en lequel se projette l'enfant est le seul "réel". Imaginez la tempête sous le petit crâne: "je" est un autre (l'ourson); on ne connait du monde que ce qu'on en perçoit, etc.

Chapi chapo: série d'animation française réalisée par Italo Bettiol et Stefano Lonatti (60 épisodes de 5 minutes) diffusée à partir de 1974. Deux enfants, un garçon et une fille, évoluent dans un décor blanc parsemé de cubes; dans chaque épisode ils sont confrontés à un problème à résoudre - par le jeu.

Papivole: série d'animation franco-belge créée vers 1978 par Mila Bouta, (52 épisodes de 5 minutes). Charlotte et Julien habitent dans un village avec chien et âne, observent la nature et les humains... C'est poétique.

Les aventures de Saturnin: série française créée par Jean Tourane et diffusée pour la première fois de 1965 à 1970; 78 épisodes de 14 minutes... Tout à fait drôle, avec des passages assez surréalistes (les cauchemars de Saturnin, les ogres, les œufs de l'île de Pâque...) susceptibles de bien marquer l'imagination de Baby.

Aglaé et Sidonie: série d'animation française d'André Joanny, diffusée pour la première fois en 1969, à base de marionnettes articulées façon Manège enchanté (tiens, j'ai oublié de chercher un extrait de ce dernier - mais vous connaissez naturellement!)... Une chanson qui traîne dans la tête, des personnages traditionnels - la ferme, le renard (peur d'être mangé...), etc.


Partie culture musicale: L'opéra imaginaire
Long métrage d'animation français, composé de 12 courts-métrages. Le propriétaire d'un opéra illustre pour les spectateurs des passages d'opéra célèbres...






Partie incontournable: Peau d'âne, de Jacques Demy
Les actrices sont belles, les acteurs sont beaux, le dialoguiste a de l'esprit, le décorateur a des références, les chansons sont magnifiques, les trois robes sont vraiment somptueuses... Du merveilleux intelligent, moral (Les enfants n'épousent pas leurs parents), réaliste (A savoir: on ne fait pas maigrir son petit doigt), en avance sur son temps (Ah, la fée des Lilas...).

L'animation chinoise:
Tradition née dans les années 1920-1930, qui a donné quelques joyeux, en papier découpé, à la peinture, ou à l'encre de Chine.
Les têtards à la recherche de leur maman (encore la recherche de la mère, la métamorphose et la peur d'être mangé!) est le premier court-métrage réalisé avec la technique du lavis animé, par Te Wei, en 1960.

Impressions de montagne et d'eau (Te Wei, 1988): une jeune fille sauve un vieux musicien, qui lui offre un instrument et lui apprend à en jouer. Même technique que précédemment. L'animation a nécessité 12 000 peintures et 20 000 photographies. Rien à dire...

L'animation russe...
On connait en général "La Reine des neiges", l'original... Il a un côté Disney (dessin, inspiration puisée dans un conte traditionnel), en plus subtil. Pourtant, toutes sortes de techniques ont été employées: marionnettes, peinture, etc.

La petite sirène d'Ivan Aksenchuk, 1968: loin de l'esthétique Disney, et très beau.

Les cygnes sauvages, de M. et V. Tsekhanovsky, d'après Andersen, 1962.

La Reine des Neiges, de Lev Atamatov, 1957, d'après Andersen. Hayao Miyazaki a déclaré que ce film avait été l'un de ceux qui l'ont décidé à travailler dans l'animation...

The dead tsarevna and the seven knights, de Ivan Ivanov-Vano et Aleksandra Snezhko-Blotskaya,1951: à voir sur le champ (32 min.) et à comparer avec Blanche Neige, merci de me faire part de vos réflexions.

Yuriy Norshteyn: on change de style, avec le conte des contes (1979) et le petit hérisson dans le brouillard (1975). 


L'animation ailleurs...

Sēd uz sliekšņa pasaciņa, 1987: Latvian animation, English subtitles

Tout joli!

Jiri Trnka (1912-1969): réalisateur tchèque de films d'animation avec marionnettes, peintre, illustrateur, sculpteur, créateur de décors et de costumes pour le cinéma...

La main (Ruka), 1965: à voir!

Studio Jiri Trnka, avec Brian Blessed, The old man and the moutains


Nina Sabnani: Mukand and Riaz. Ce film est basé sur les mémoires du père de l'auteur, et se déroule durant la partition de 1947 entre Inde et Pakistan. 

Il est basé sur un album, et réalisé avec du tissu collé.
Il a été fait dans le cadre d'un projet israélien: Big Small People.

Isabelle au bois dormant, film français de Claude Cloutier, 2007. A voir au 3e ou 4e degré, après avoir lu l'intégrale de la Rubrique à brac (Gotlib), et Psychanalyse des contes de fées (Bettelheim).

Puisque je passe aux films quasiment pour adultes... The Thomas Beale Cipher, par Andrew Allen, 2010. Trop beau!

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