Thursday, 17 April 2014

Le musée languedocien de l’hôtel de Lunaret

Le nom Lunaret évoque surtout aux Montpelliérains un parc zoologique... C'est pourtant aussi l'un des noms d'un bel hôtel particulier qui a appartenu à la même famille, et qui abrite aujourd'hui le musée de la Société archéologique montpelliéraine (SAM). Ce musée n'expose qu'une toute petite partie de ses collections. Le second étage, qui regorgeait de trésors préhistoriques et antiques, est fermé, ainsi qu'une partie des appartements de la famille Lunaret. Un travail énorme serait à faire, et la société fait de son mieux, depuis près de deux siècles. Avec un personnel de quatre personnes à mi-temps, le musée parvient à organiser de fréquentes conférences, des expositions, et des publications.

Retour sur l'histoire





La Société Archéologique de Montpellier (SAM) a été fondée en 1833 par un groupe de notables, amateurs d’art et d’histoire.
Ses objectifs, toujours d'actualité, étaient la création et l’accroissement d’un cabinet archéologique, la découverte, la description et la conservation des monuments, la publication de documents inédits et de mémoires. Jules Renouvier fut son président fondateur, et également Maire de Montpellier. Il entraina la SAM dans le sauvetage de l'abbaye de Saint-Guilhem le Désert, abandonnée, pillée, vendue par pièces aux plus offrants. La société commença par ailleurs à rassembler des collections, comme celle des vases grecs. Elle fut reconnue société d'utilité publique en 1888.
Depuis l'origine, ses membres ont contribué à préserver le patrimoine régional en se portant personnellement acquéreurs de pièces souvent vouées à l'exportation ou à la destruction.





En 1910, elle reçut en legs d'Henri de Lunaret le "palais Jacques Coeur et des Trésoriers de France". La sœur du défunt en conserva l'usufruit jusqu'à son décès en 1939. Le musée Languedocien ouvrit ses portes en 1992. Il bénéficie du label de "musée de France".

L'hôtel a été bâti pour Jacques Cœur, grand argentier du Royaume qui décida en 1432 de s'établir à Montpellier. Il acheta plusieurs maisons du quartier des affaires internationales de l'époque, et les fit raser. Il chargea l'architecte du roi Simon de Beaujeu d'y faire construire un palais somptueux. Celui-ci comportait une tour de 25 mètres de hauteur, démolie lors du remaniement du XVIIe siècle, un pont de pierre enjambant une rue, de très grandes fenêtres... Les structures contemporaines auraient conservé 70% des structures originales; les soubassements de la tour-escalier hexagonale sont visibles au sous-sol, deux salles voûtées du rez-de chaussé, et dans les pièces nobles du premier étage on a conservé des plafonds peints et la peinture murale ancienne apparaît par endroits, en couches superposées. Après la chute de Jacques Cœur, le palais est passé entre les mains de grandes familles languedociennes, qui l'ont souvent loué aux gouverneurs royaux puis aux Trésoriers de France. Ces derniers étaient chargés de l’administration des domaines du Roi dans le Languedoc (vaste province englobant plus ou moins les actuelles régions Languedoc-Roussillon et Midi Pyrénées, avec pour capitales administratives Montpellier et Toulouse), de rendre une partie de la justice fiscale, et d'encaisser une partie des impôts, dont la gabelle. Ils demandèrent à l'architecte et ingénieur du Roi Alexis Ponce de la Feuille de remodeler et moderniser le palais. On édifia alors la façade intérieure à  colonnes, sur une grande cour d’honneur avec escalier à ferronnerie fleurdelisée. Les armes du roi, sculptées sur le fronton de la façade, furent biffées à la révolution. Restent deux soleils rayonnants, symboles de du roi soleil.


Non, les révolutionnaires n'ont pas tout détruit. Le XXe siècle a eu son lot de vandales. On n'imagine pas tout ce qui a pu être perdu au cours de "rénovations"... L'hôtel de Gayon par exemple n'a pas eu la chance de l’hôtel des trésoriers de France. Ces affaires nous appauvrissent tous. Montpellier vivrait sans doute mieux avec moins de grands travaux et plus d'amour. Je recommande, à ce propos, la consultation d'un article érudit et bien illustré, sur ce lien.


A la Révolution, le palais fut vendu comme bien national. Il passa bientôt aux mains de la famille de Lunaret, qui y réside au XIXe siècle. Henri de Lunaret, mort sans descendance en 1910, a légué à la SAM l'hôtel et tout ce qu'il contenait (meubles, bibliothèques, collections). L'hôtel fut classé Monument Historique en 1931. A partir de 1939, la SAM y regroupa ses collections, puis elle fit restaurer le rez-de-chaussée et le premier étage, et ouvrit le palais au public le 22 février 1992.

Les noms des présidents de la SAM de 1833 à nos jours ont marqué l'histoire de Montpellier et se retrouvent dans notre réseau urbain - Jules Renouvier, Joseph Grasset, Eugène Thomas, Frédéric Bouisson, Albert Vigié, Paul Cazalis de Fondouce, Maurice Oudot de Dainville, Jean Claparède... Son président actuel est M. Laurent Deguara.

Pour plus d'informations sur l'histoire des collections, et en général l'histoire du Languedoc, voir les publications en vente à l'accueil du musée et éventuellement via son site, ce sont des références.


Le musée possède de belles collections, en grande partie reléguées dans les réserves. Il n'est actuellement pas possible de voir les objets de la préhistoire (nombreux et beaux objets retrouvés dans la région), la collection de vases grecs, sur fonds noir ou rouge, la collection égyptienne (les collectionneurs du XIXe siècle partageaient les passions de l'époque), les collections étrusques ou d'arts et traditions populaires... On put les voir dans les dix premières années d'existence du musée.

Le musée présente essentiellement actuellement des pièces médiévales, du mobilier et des œuvres d'art, souvent en rapport avec les expositions: argenterie/orfèvrerie, verre, cartes et plans... De belles faïences du Midi de la France apparaissent dans la collection permanente. La faïence, aussi, est incontournable à Montpellier, qui en produisit en grandes proportions et quantités, notamment pour les pharmaciens... Le musée envisage une présentation plus pédagogique à l'égard des visiteurs novices, touristes, enfants et adolescents. Ce serait une bonne chose.


Béatrice

Parmi les trésors du Musée figure une série de parédals - un mot que wikipédia et les correcteurs d'orthographe ignorent encore. Ces panneaux de bois peint sur un fond rouge sang racontent le mariage de deux héritiers de grandes familles, Béatrice de Conques et Bernard Roch, en 1262. Ils furent sans doute réalisés par un artiste réputé: le trait est fin est gracieux, les gestes et visages sont vivants. Ces panneaux, extraordinairement bien conservés, sont riches d'enseignements sur la vie des protagonistes et leur univers symbolique. Pour un récit des événements, lire ici un article paru en 2009 dans le journal de l'agglomération de Montpellier. Le paredal n°6 (ci-dessous) n'est pas toujours présenté en vitrine. Cette jeune femme accueillant un roi d'armes devant un arbre aux fruits évocateurs, fait clairement allusion au mariage...





Gabrielle

Une autre oeuvre qui attirera l'intérêt des visiteurs en dehors de ses qualités artistiques et historiques (mais toute curiosité en éveil devrait mener à des recherches et analyses sur les deux derniers plans!) est le tableau représentant Gabrielle d’Estrées et la Duchesse de Villars au bain (Ecole de Fontainebleau, fin XVIe siècle), la seule version habillée connue d'un anonyme célèbre, d'après la dame au bain de François Clouet. Aussi cette copie fut-elle commandée par un ecclésiastique qui souhaitait la suspendre au dessus de son lit. A voir en diaporama sur le site du musée (reproduction interdite), ici. Certains préféreront comparer le  médailler marqueté d’époque Louis XV aux deux autres exemplaires connus au monde, d'autres seront attirés par Gabrielle et sa sœur, leur histoire, l'histoire du tableau, l'histoire dans le tableau, l'histoire des diverses versions. Je conseille de consulter les blogs de M.M., ici, ou , le site du domaine de Chantilly, ici, etc. 
Amusez-vous!

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